Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/145

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mais je crus devoir plus à l’État et à mon premier plan qu’à moi. Je le croyois encore capable de travail par lui-même, instruit surtout comme il l’étoit depuis deux ans par Desmarets. Ses richesses et ses établissements m’assuroient de la netteté de ses mains ; son ambition même, de tous ses efforts à bien faire dans une place si considérable où je voulois un seigneur, et pour laquelle je n’en voyois point qui l’égalât. Je raffermis donc M. le duc d’Orléans dans la résolution de la lui donner.

En même temps j’achevai de le fortifier contre les efforts qui se faisoient contre le cardinal de Noailles. Les cardinaux de Rohan et de Bissy, le nonce Bentivoglio et les autres chefs de la constitution étoient dans les plus vives alarmes du traitement que le cardinal de Noailles recevoit depuis la mort du roi. Ils mouroient de frayeur de le voir à la tête des affaires ecclésiastiques ; ils remuoient tout pour l’empêcher, ils crioient à l’aide à tout le monde, ils demandoient aux gens principaux leur protection pour la religion et pour la bonne cause. Bissy, dès Versailles, me l’avoit demandée tout éperdu, je lui avois répondu avec une très froide modestie. Un soir qu’il y avoit assez de monde, mais trayé, chez M. le duc d’Orléans, de ces premiers jours à Paris, je vis le duc de Noailles parler à Canillac, tous deux raisonner ensemble, me regarder, et tout de suite Canillac venir à moi et me tirer à part. C’étoit pour me représenter le danger du délai de déclarer le cardinal de Noailles chef du conseil de conscience ou des affaires ecclésiastiques (car ce conseil eut ces deux noms), les mouvements et les intrigues du parti opposé, et l’embarras où se trouveroit M. le duc d’Orléans, s’il donnoit le temps au pape de lui écrire un bref d’amitié par lequel il lui demanderoit comme une grâce de ne pas mettre le cardinal de Noailles à la tête de ce conseil. Cette raison me frappa ; je convins avec Canillac qu’il n’y avoit point de temps à perdre. Il me proposa d’en parler à l’heure même au régent. Quelques moments après je le fis.