Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/157

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réitérés. Je ne voyois que d’Antin à mettre à la tête du conseil du dedans ; je le proposai, je fus refusé.

C’est le seul homme pour qui M. le duc d’Orléans, si fort sans aucun fiel pour ses plus mortels ennemis, ait conservé rancune, et le seul encore pour qui ce prince, si indifférent à la vertu, n’ait pu vaincre son mépris. On a vu les raisons de l’un et de l’autre dans le cours de ces Mémoires. D’ailleurs lié étroitement aux bâtards par état et par besoin sous le feu roi, et tout à Mme la Duchesse, ce prince si aisément soupçonneux ne le pouvoit souffrir.

D’Antin, depuis qu’il étoit due, s’étoit peu à peu jeté à moi. M. [le Dauphin] et Mme la Dauphine, les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, le maréchal de Boufflers étoient disparus ; il n’y avoit plus trace de Monseigneur ni de la cabale de Meudon ; le mariage de Mme la duchesse de Berry étoit fait ; elle étoit veuve, et Mme la Duchesse l’étoit aussi depuis longtemps. Mon éloignement pour d’Antin avoit cessé avec les personnes et les causes qui le formoient. Je sentois également tout son fumier, mais je n’en pouvois ignorer les perles qui y étoient semées, et je ne voyois personne de rang qui eût plus de talents pour bien remplir cette place. D’Antin d’ailleurs avoit trop d’esprit et trop peu de courage pour se laisser engager contre le régent ; il connoissoit trop aussi M. et Mme du Maine pour s’attacher véritablement à eux. Il tenoit trop d’ailleurs de tout temps à Mme la Duchesse qui les détestoit souverainement. Par cette liaison intime, il étoit propre à en former une entre le régent et M. le Duc, sur qui l’âge et la confiance de Mme la Duchesse lui donnoit de l’autorité, qui demeureroit crédit et créance quand ce prince viendroit à l’âge d’être compté, ce qui arriveroit bientôt ; enfin l’esprit courtisan de d’Antin, et la servitude tournée en lui en nature, me rassuroit pleinement. C’étoit un homme naturellement brutal et livré à tous les vices, mais si maître de soi qu’il étoit doux, liant, patient, plein de ressources. Personne n’avoit plus d’esprit, ni de toutes