Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/188

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étoit la rendre héréditaire, et [ils] cajolèrent si bien le duc d’Elboeuf, qui n’avoit point d’enfants, que peu après ils obtinrent pour le même prince Charles la survivance du gouvernement de Picardie du duc d’Elbœuf. Jusque-là j’avois eu patience, mais cela me piqua. J’en dis mon avis à M. le duc d’Orléans, et j’ajoutai que puisqu’il donnoit tout indifféremment à tout le monde, je voulois aussi la survivance de mes deux gouvernements pour mes deux fils, de Blaye pour l’aîné, de Senlis pour le cadet, qu’il me donna sur-le-champ. Torcy donna la démission de sa charge de secrétaire d’État qui fut supprimée, comme celle qu’avoit Voysin, et prêta serment entre les mains du roi de sa nouvelle charge de grand maître des postes.

J’avois représenté à M. le duc d’Orléans la triste situation de la branche aînée de ma maison, et je l’avois supplié de donner au jeune abbé de Saint-Simon, qui avoit près de vingt ans, une abbaye dont il put aider ses frères, parce que je n’aime pas la pluralité des bénéfices. Il lui donna Jumièges, en même temps qu’Anchin au cardinal de Polignac, et Saint-Waast d’Arras au cardinal de Rohan. Mais il souffrit qu’ils eussent des coadjuteurs religieux de ces abbayes, qui, étant régulières, pouvoient être possédées en commende par des cardinaux, dont un des principaux privilèges est de pouvoir tout engloutir. Mais les moines surent si bien représenter à Rome la lésion de leur droit de s’élire des abbés réguliers par la nomination successive de cardinaux à leurs abbayes, que le pape insista pour ces coadjutoreries, et que le régent eut la faiblesse d’y consentir. Je dis la faiblesse, parce que jamais Rome ne se seroit opiniâtrée à une chose de cette qualité, et que, puisqu’on a le peu de sens de vouloir des cardinaux en France, et la manie de se persuader qu’il leur faut cent mille écus de rente à chacun, il vaut mieux les prendre sur de riches abbayes régulières qu’autres que des cardinaux ne peuvent posséder, que laisser cent mille livres de rente à un abbé moine,