Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/202

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Il servit quelque temps capitaine en Italie. Là et partout où il servit depuis, il s’appliqua à connoître ce qui valoit le mieux en chaque partie militaire : troupes, partisans, officiers généraux, artillerie, génie, jusqu’aux vivres, aux dépôts, aux munitions, à faire sa cour à ces meilleurs-là de chaque espèce, et à les suivre pour s’en faire aimer et instruire. Le roi qui connoissoit encore quelque mesure entre les gens, ne put refuser enfin un régiment à Belle-Ile ; mais il lui en refusa d’infanterie et de cavalerie. Il lui permit d’en acheter un de dragons, où les gens d’une certaine qualité ne vouloient pas entrer alors, si ce n’étoit tout à coup dans les deux charges supérieures. Belle-Ile, qui avoit déjà capté des généraux, non content de faire les campagnes en homme qui ne ménage rien pour voir tout et apprendre, passoit après les hivers à visiter les différentes frontières, ceux qui y commandoient, à s’y instruire de tout ce qu’il pouvoit ; et s’il y avoit en Italie ou ailleurs un reste de campagne plus longue, il y alloit l’achever, volontaire, toujours cherchant à apprendre tout et de tous. Cette volonté l’instruisit en effet beaucoup, le fit connoître à toutes les troupes, et lui donna de la réputation. On a vu qu’il en acquit beaucoup à la défense de Lille, sous le maréchal de Boufflers qui le vanta fort, et qu’il en sortit brigadier, fort dangereusement blessé. Sa blessure se rouvrit la campagne suivante en Allemagne. Il fut porté à Saverne. Il y fut longtemps, il sut en profiter, et il devint intime du cardinal de Rohan et de tous les Rohan, et l’est toujours demeuré depuis. Son frère en sa manière se conduisit et s’instruisit avec le même soin, et eut à la fin un brevet de colonel de dragons. L’aîné fit pourtant si bien qu’il obtint l’agrément du feu roi d’acheter, en 1709, d’Hautefeuille, la charge de mestre de camp des dragons, qui a été le premier pas de sa fortune, où nous le laisserons présentement.