Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/218

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à mon aise avec moi-même là-dessus. Je priai l’abbé Pucelle, habile et intègre conseiller clerc de la grand’chambre, qui depuis est justement devenu célèbre et qui a toujours joui en ces deux genres de la première réputation, de me donner une après-dînée de son temps. Il vint chez moi. Nous y lûmes ensemble tous les mémoires de part et d’autre, nous les discutâmes exactement pour et contre ; je lui expliquai cet usage de donner l’ordre qu’il ne pouvoit savoir. Je ne m’ouvris en aucune sorte ; j’appuyai même autant que je le pus les raisons de M. le Grand, parce que je ne les trouvois pas bonnes. J’eus la satisfaction que l’abbé Pucelle fut de mon avis avant que d’avoir su quel il étoit, et qu’il me dit nettement que cela ne faisoit pas de question. Je disputai encore contre lui. À la fin, je lui avouai que j’avois toujours été du même avis que lui ; mais que j’avois voulu le lui cacher jusqu’au bout, pour rendre sa décision plus libre.

Plus je me sentis fixé dans mon avis, plus j’étois en garde et serré avec le premier écuyer qui venoit souvent me faire ses plaintes, et chercher à me pénétrer. Il me pria avec les dernières instances de lui prêter le compte rendu à mon père par son intendant de l’année 1643. Comme ces pièces se conservent toujours dans les maisons qui ont quelque ordre, je ne pus nier que je ne l’eusse, mais je lui dis qu’étant juge de son affaire, je me garderois bien de lui rien administrer. Il avoit avancé que mon père avoit eu la dépouille de la petite écurie ; c’étoit le dernier exemple et le dernier état. Il falloit le prouver et le trouver dans ce compte ; c’étoit pour lui une preuve transcendante. Il me pressa beaucoup sans succès, puis me tourna tant qu’il put pour apprendre si en effet mon père avoit eu cette dépouille. Je ne le satisfis pas plus sur cela que sur les instances de lui montrer au moins ce compte.

Quatre jours après, le prince Charles vint chez moi avec force excuses de M. le Grand, que la goutte empêchoit d’y venir, qui l’avoit chargé de me prier de vouloir bien lui