Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/228

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne bouger d’où étoit le roi, ne put jamais diminuer. Les quinze dernières années du feu roi au moins elle n’étoit plus de rien, et n’alloit à la cour que deux ou trois fois l’année passer au plus deux jours, mais quelquefois à Meudon, quand il y avoit des dames et que le roi n’y étoit pas ; jamais même à Fontainebleau. Cela étoit fort remarqué ; mais ils étoient si sages et si cachés qu’on n’en fut pas plus instruit. Le Premier, qui aimoit fort sa femme, et à être avec cette flatteuse, en étoit secrètement, amèrement affligé, mais il ne put rien changer à cette disgrâce, qui dans les premiers temps bannit sa femme de la cour, sans y oser paroître du tout pendant quelques années.

Il me poursuivit plus de six semaines pour voir sa femme, avec une assiduité qui me désoloit et qui enfin me vainquit. Elle vint donc un matin seule avec son langage composé où elle mit toute l’éloquence qui lui fut possible, qu’elle accompagna de beaucoup de larmes. Je la reçus avec toute la civilité, mais avec toute la froideur possible. Je lui dis qu’il ne s’agissoit point de s’expliquer sur ce qui s’étoit passé chez elle à mon égard, que je n’en ignorois rien, que je savois à quoi m’en tenir, que je voulois bien croire qu’elle en étoit fâchée, que cela ne m’avoit pas empêché de rendre justice à M. le Premier. Du reste, je la payai de compliments secs, sans me rendre à ses protestations, ni à tous ses empressements pour obtenir oubli et mon amitié. Il n’y eut rien qu’elle ne me dît pour m’assurer que, quelque rigueur que je lui tinsse, rien n’égaleroit à jamais sa reconnoissance, son attachement, son respect pour moi, car elle ne ménagea aucun terme, et pour me les témoigner par toute sa conduite. Tous ces verbiages durèrent une bonne heure tête-à-tête, et quoique de ma part la sécheresse se fît soutenue jusqu’au bout à travers toute la politesse dont je la pus tempérer, son mari vint me remercier le lendemain de l’avoir reçue, et me dit encore merveilles pour elle.

Elle m’est depuis revenue voir quelquefois du vivant de M.