Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pour entendre ce point d’espèce de servitude de la Hollande à l’Angleterre, il faut savoir qu’outre les liaisons intimes dont le roi Guillaume avoit uni ces deux puissances, par tous les liens qu’il avoit pu imaginer, tant qu’il fut à la tête de toutes les deux, la guerre sur la succession d’Espagne y en avoit ajouté un autre bien plus fort. Heinsius, pensionnaire de Hollande, gouvernoit cette république avec un art qui l’en rendit tout à fait maître. Il étoit créature du roi Guillaume, son confident, et l’âme de son parti dans tous les temps avant et depuis son avènement à la couronne d’Angleterre. Il avoit pleinement hérité de s haine contre la France et contre la personne du feu roi. Il étoit flatté des soumissions que lui prodiguèrent le duc de Marlborough et le prince Eugène, qui lui déféroient tout, et qui avoient un intérêt personnel et pressant de perpétuer la guerre qui étoit tout leur appui à Vienne et à Londres, et qui leur valoit infiniment en particulier. Ils n’avoient pas honte d’attendre quelquefois des heures entières dans l’antichambre d’Heinsius, par le moyen duquel ils firent que les Hollandois suppléèrent à ce que l’empereur ne pouvoit, et à ce qu’on n’osoit demander au parlement d’Angleterre, qui donnoit souvent le triple des engagements, et qu’on ne pouvoit pousser au delà. De cette façon la république se ruina si bien, que, si les sept provinces avoient pu être vendues comme on vend une terre, le prix n’en auroit pas payé les dettes.

Les plus riches du pays ne voyant donc plus de sûreté pour les fonds qu’ils prêteroient à l’État, les mirent tant qu’ils purent sur la banque d’Angleterre, en sorte que dans un État ruiné les particuliers demeurèrent riches. Ces particuliers pour la plupart étoient toujours à la tête des villes, des provinces, du conseil d’État, des étoit généraux, et dans les premiers emplois et les principales commissions. Ils étoient donc à peu près les maîtres des affaires, et le sont toujours demeurés par leur nombre, leur succession des