Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/372

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qui étoit son secrétaire d’État caché à Paris, lui fréta un vaisseau en Normandie où le Prétendant vint s’embarquer, non en Normandie, mais à Dunkerque, où on avoit fait passer le vaisseau.

On a vu encore, en parlant de Stairs sur la fin de 1715, que ce ministre anglois ne perdoit pas son temps à Paris, et les liaisons utiles à ses vues pour l’avenir qu’il y avoit faites. Les moindres, qu’il ne négligeoit pas, le conduisirent à de plus importantes. Rémond, bas intrigant, petit savant, exquis débauché, et valet à tout faire, pourvu qu’il fût dans l’intrigue et qu’il pût en espérer quelque chose, avoit beaucoup d’esprit, et à force de s’être fourré dans le monde par bel esprit et débauche raffinée, il le connoissoit fort bien, et s’attacha de bonne heure à l’abbé Dubois, qui savoit faire usage de tout, et à Canillac. Il les captiva tous deux par ses respects et ses adulations, l’abbé par l’intrigue, le marquis par le même goût d’obscure débauche grecque, et par l’admiration de son esprit et de sa capacité. Ravi de se faire de fête, il leur vanta le génie supérieur de Stairs ; à Stairs tout l’usage qu’il pouvoit tirer d’eux auprès de M. le duc d’Orléans ; il fit a chacun, comme en étant chargé, des avances mutuelles, et il fit si bien qu’il les mit en commerce, d’abord de civilité par estime réciproque, qui se tourna bientôt en commerce d’affaires.

Canillac, comme on l’a vu, avec tout son esprit, avoit fort peu de sens. Un lumineux, qui éblouissoit à force de frapper singulièrement bien sur les ridicules, tenoit chez lui la place du jugement ; et un flux continuel de paroles, qu’une passion conduisoit toujours, et l’envie plus qu’aucune autre, noyoit son raisonnement et le rendoit presque toujours faux. Stairs, bien instruit par Rémond, n’oublia ni respects ni prostitutions ; c’étoit le foible de Canillac. Les cajoleries continuelles de Stairs le gagnèrent ; il ne put résister au plaisir de sentir le caractère d’ambassadeur ployer devant son mérite, et l’audace du personnage s’humilier devant