Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/376

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aucun pas qui put le moins du monde écarter de ce grand objet, en quoi, ajoutoient-ils, le prince françois gagnoit tout pour assurer son espérance, tandis que l’Anglois en possession, par cela même n’y gagnoit presque rien, d’autant plus qu’il n’avoit affaire qu’à un Prétendant sans biens, sans état, sans secours, au lieu que le cas advenant, M. le duc d’Orléans auroit pour compétiteur un roi d’Espagne établi et puissant, et par mer et par terre limitrophe de tous les côtés de la France.

M. le duc d’Orléans avala ce poison présenté avec tant d’adresse par des personnes sur l’esprit, la capacité et l’attachement personnel desquelles il croyoit devoir compter, qui toutefois lui prouvèrent bien dans la suite que leur e prit étoit faux, leur capacité nulle, leur attachement vain et uniquement relatif à eux-mêmes. Ce prince n’avoit que trop de pénétration pour apercevoir le piège, et le prodige est ce qui le séduisit : ce fut le contour tortueux de cette politique, et point du tout le désir de régner. Je m’attends bien que si jamais ces Mémoires voient le jour, cet endroit fera rire, en décréditera les autres récits, et me fera passer pour un grand sot, si j’ai cru persuader mes lecteurs, ou pour un imbécile, si je l’ai cru moi-même. Telle est pourtant la vérité toute pure, à laquelle je sacrifie tout ce qu’on pensera de moi. Quelque incroyable qu’elle paroisse, elle ne laisse pas d’être vérité. J’ose avancer qu’il y en a beaucoup de telles ignorées dans les histoires, qui surprendroient bien si on les savoit, et qui ne sont ignorées que parce qu’il n’y en a presque aucune qui soit écrite de la première main.

Cette vérité-ci, et plusieurs autres que j’ai vues, m’en persuadent, qui sont trop peu importantes à l’histoire de ce temps pour que je les aie écrites, et d’autres encore dont j’ai inséré ici les principales que j’ai sues de mon père, et qui sont demeurées dans l’oubli, ou qui de Louis XIII, a qui elles appartiennent, ont été transportées au cardinal de Richelieu. Je le répète, et je le dois à la vérité qui règne