Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/396

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Le duc de Saint-Aignan, touché du préjudice que le service du roi d’Espagne souffroit, lui représenta fortement qu’une résolution de cette conséquence, et dans la conjoncture des grands armements de l’empereur et des dispositions visibles de l’Angleterre n’auroit pas dû être prise sans la participation de la France. Il proposa une suspension de trois mois ; et quoiqu’en effet il n’eût reçu aucun ordre là-dessus, il fit entendre qu’il ne parloit pas de son chef. Cette représentation réussit fort mal et demeura sans réponse ; mais le prince de Cellamare eut ordre d’exposer au régent le plan de la réforme, de lui faire entendre qu’elle ne tomboit que sur les états-majors ; que le nombre de troupes demeuroit le même, parce qu’elles n’étoient pas complètes ; et de demander un ordre du roi au duc de Saint-Aignan de s’abstenir de se mêler du détail et de l’intérieur du gouvernement d’Espagne, comme lui-même, de sa part, ne s’étoit point mêlé du changement fait dans le gouvernement à la mort du roi, ni de la réforme des troupes que le régent avoit réglée. On attribuoit moins les démarches de Saint-Aignan à des ordres reçus de les faire qu’à des liaisons particulières avec des seigneurs et des dames du palais intéressés pour leurs parents, et [à] son intimité avec Hersent, guardaropa du roi d’Espagne, homme d’esprit, de conduite, de mérite, que le roi avoit donné à son petit-fils en partant de France. C’étoit un homme d’honneur, haut sans se méconnoître, fort au-dessus de son état par ce qu’il valoit, très bien et librement avec le roi d’Espagne, qui se faisoit compter, qui avoit des amis considérables, et qui prenoit grande part à cette réforme parce qu’il avoit ses deux fils capitaines dans le régiment des gardes wallonnes, qui avoient de l’honneur et de la valeur et qui y étoient considérés.

Albéroni s’aigrit d’autant plus fortement contre le duc de Saint-Aignan qu’il mouroit de peur des menaces publiques des réformés, qui ne se prenoient qu’à lui de leur malheur, et qui ne le menaçoient pas moins que de le pendre à la