Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/414

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à me gagner, du moins à ne m’avoir pas contraire. Il n’ignoroit pas mes sentiments par le P. Tellier, à qui je ne les avois pas ; cachés ; on a vu en leur temps ce qui s’est passé là-dessus entre lui et moi. Le cardinal de Bissy, et quelque temps après le prince et le cardinal de Rohan, tous deux ensemble, m’en parlèrent. Je répondis civilement et modestement. Je dis que je n’étois point évêque, et aussi peu docte ou docteur ; je me battis en retraite de la sorte. Cela ne les contenta pas. Le duc de La Force, de tout temps livré aux jésuites à l’occasion de sa conversion, en effet pour plaire au feu roi, et s’en approcher s’il eût pu, étoit par même raison initié avec les cardinaux de Rohan et de Bissy, et les chefs accrédités de leur parti. Ils me le détachèrent pour faire un dernier effort. Ce n’étoit pas que j’eusse levé aucun étendard sur cette affaire ; je me contenois même tout à fait dans les bornes où doit s’arrêter un homme en situation de parler et de dire son avis au conseil de régence, ou en particulier au régent ; mais ils savoient, dès le temps du feu roi, sur quoi compter là-dessus par la raison que je viens de dire, et ils étoient alarmés de ma liaison avec le cardinal de Noailles. La force argumenta avec moi sur le fond de la matière. Il savoit et débitoit bien ce qu’il savoit ; mais comme la politique étoit sa religion, et que, pour persuader, il faut être persuadé soi-même, ce n’est pas merveille s’il n’y put réussir avec moi.

À bout enfin de raisons et de raisonnements, il se jeta sur l’intérêt présent et futur du régent de ménager Rome, les jésuites, le grand nombre des évêques, et s’étendit beaucoup là-dessus. Mais comme la politique et l’intérêt ne peuvent jamais être mis en la place de la religion et de la vérité, sa politique fut aussi vaine avec moi que sa doctrine. Ne sachant plus que faire, il en vint à un argument ad hominem, dont j’ai su depuis que ceux qu’il servoit, et lui-même, avoient tout espéré. Il me dit qu’il avouoit qu’il ne me comprenoit point, et qu’il ne pouvoit allier mon esprit avec ma conduite ;