Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/435

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venoit de m’expliquer me paraissoit bon en soi, en ce que sans levée, sans frais, et sans faire tort ni embarras à personne, l’argent se doubloit tout d’un coup par les billets de cette banque, et devenoit portatif avec la plus grande facilité ; mais qu’à cet avantage je trouvois deux inconvénients : le premier de gouverner la banque avec assez de prévoyance et de sagesse pour ne faire pas plus de billets qu’il ne falloit, afin d’être toujours au-dessus de ses forces, et de pouvoir faire hardiment face à tout, et payer tous ceux qui viendroient demander l’argent des billets dont ils seroient porteurs ; l’autre, que ce qui étoit excellent dans une république ou dans une monarchie où la finance est entièrement populaire, comme est l’Angleterre, étoit d’un pernicieux usage dans une monarchie absolue, telle que la France, où la nécessité d’une guerre mal entreprise et mal soutenue, l’avidité d’un premier ministre, d’un favori, d’une maîtresse, le luxe, les folles dépenses, la prodigalité d’un roi ont bientôt épuisé une banque, et ruiné tous les porteurs de billets, c’est-à-dire culbuté le royaume. M. le duc d’Orléans en convint, mais en même temps me soutint qu’un roi auroit un intérêt si grand et si essentiel à ne jamais toucher ni laisser toucher ministre, maîtresse ni favoris à la banque, que cet inconvénient capital ne pouvoit jamais être à craindre. C’est sur quoi nous disputâmes longtemps sans nous persuader l’un l’autre, de façon que, lorsque quelques jours après il proposa la banque au conseil de régence, j’opinai tout au long comme je viens de l’expliquer, mais avec plus de force et d’étendue ; et je conclus à rejeter la banque comme l’appât le plus funeste dans un pays absolu, qui dans un pays libre seroit un très bon et très sage établissement.

Peu osèrent être de cet avis ; la banque passa. M. le duc d’Orléans me fit de petits reproches, mais doux, de m’être autant étendu. Je m’en excusai sur ce que je croyois de mon devoir, honneur et conscience, d’opiner suivant ma persuasion, après y avoir bien pensé, et de m’expliquer suffisamment