Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/446

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que l’Espagne la puissance de l’empereur, et qu’il étoit jaloux de celle de l’Angleterre. Albéroni leur avoit proposé une ligue défensive ; il craignoit en même temps que ces puissances n’en voulussent une offensive, qui, étant sûrement contre la France, ne pouvoit convenir à l’Espagne. En même temps il se ravisa sur le Prétendant ; il crut de l’intérêt de l’Espagne de ne le pas abandonner absolument, et lui fit toucher quelque argent. Ce malheureux prince avoit été à Commercy. Le duc de Lorraine l’y alla voir incontinent, et le pria civilement de sortir de ses États ; ce qu’il ne tarda pas de faire, et, faute d’autre asile, alla à Avignon. Le duc de Lorraine dépêcha à Londres pour y faire valoir cette conduite, et on y fut content de lui.

Les puissances maritimes, bien informées du triste état de la marine d’Espagne, du secours de vaisseaux qu’elle avoit promis au pape sans en avoir elle-même, et de son embarras pour faire partir la flotte des Indes, au départ de laquelle elles avoient grand intérêt, lui en offrirent. Albéroni répondit avec une singulière hardiesse que le roi d’Espagne ne manqueroit pas de vaisseaux, mais que s’il en vouloit, c’étoit acheter, non pas emprunter ou louer ; et que si l’argent lui manquoit, il donneroit des hypothèques sur les Indes. Une déclaration si indiscrète faite au secrétaire d’Angleterre à Madrid, qui avoit le dernier offert des vaisseaux, lui fit ouvrir les oreilles, et remontrer à Londres tout l’avantage d’un pareil moyen pour négocier directement aux Indes. Le pape en attendant mouroit de peur des Turcs. Sa crainte de l’empereur lui avoit fait demander des vaisseaux au lieu de troupes, dont l’arrivée en Italie auroit blessé la cour de Vienne, et les Vénitiens, qui en désiroient pour leur sûreté, y renoncèrent sur ce que l’Espagne ne leur en voulut envoyer que par terre ; cependant le nonce Aldovrandi se plaignoit de l’inutilité de son séjour à Madrid où il ne finissoit aucune affaire ; et le roi de Sicile se plaignoit bien haut de n’être pas protégé fortement à Rome par l’Espagne pendant