Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/80

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donner, qu’il vit, qu’il parla, qu’il régla, qu’il prévit tout pour après lui, dans la même assiette que tout homme en bonne santé et très libre d’esprit auroit pu faire ; que tout se passa jusqu’au bout avec cette décence extérieure, cette gravité, cette majesté qui avoit accompagné toutes les actions de sa vie ; qu’il y surnagea un naturel, un air de vérité et de simplicité qui bannit jusqu’aux plus légers soupçons de représentation et de comédie.

De temps en temps, dès qu’il étoit libre, et dans les derniers qu’il avoit banni toute affaire et tous autres soins, il étoit uniquement occupé de Dieu, de son salut, de son néant, jusqu’à lui être échappé quelquefois de dire : Du temps que j’étois roi. Absorbé d’avance en ce grand avenir où il se voyoit si près d’entrer, avec un détachement sans regret, avec une humilité sans bassesse, avec un mépris de tout ce qui n’étoit plus pour lui, avec une bonté et une possession de son âme qui consoloit ses valets intérieurs qu’il voyoit pleurer, il forma le spectacle le plus touchant ; et ce qui le rendit admirable, c’est qu’il se soutint toujours tout entier et toujours le même : sentiment de ses péchés sans la moindre terreur, confiance en Dieu, le dira-t-on ? tout entière, sans doute, sans inquiétude, mais fondée sur sa miséricorde et sur le sang de Jésus-Christ, résignation pareille sur son état personnel, sur sa durée, et regrettant de ne pas souffrir. Qui n’admirera une fin si supérieure, et en même temps si chrétienne ? mais qui n’en frémira ?

Rien de plus simple ni de plus court que son adieu à sa famille, ni de plus humble, sans rien perdre de la majesté, que son adieu aux courtisans, plus tendre encore que l’autre. Ce qu’il dit au roi futur a mérité d’être recueilli, mais affiché depuis avec trop de restes de flatterie, dont le maréchal de Villeroy donna l’exemple en le mettant à la ruelle de son lit, comme il avoit toujours dans sa chambre à l’armée un portrait du roi tendu sous un dais, et comme il pleuroit toujours vis-à-vis du roi aux compliments que les