Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/10

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roi, et des rigoureux traitements qui l’avoient suivie et qui duroient encore, il ne falloit pas s’attendre qu’ils s’exposassent à revenir en France sans de fortes et d’assurées précautions, qui ne pouvoient être que les mêmes sous lesquelles ils avoient fait gémir cinq de nos rois, et plus grandes encore, puisqu’elles n’avoient pu empêcher le cinquième de les assujettir enfin, et de les livrer pieds et poings liés à la volonté de son successeur, qui les avoit confisqués, chassés, expatriés. Je finis par supplier le régent de peser l’avantage qu’il se représentoit de ce retour, avec les désavantages et les dangers infinis dont il étoit impossible qu’il ne fût pas accompagné ; que ces hommes, cet argent, ce commerce, dont il croyoit en accroître au royaume, seroient hommes, argent, commerce ennemis et contre le royaume ; et que la complaisance et le gré qu’en sentiroient les puissances maritimes et les autres protestantes, seroit uniquement de la faute incomparable et irréparable qui les rendroit pour toujours arbitres et maîtres du sort et de la conduite de la France au dedans et au dehors. Je conclus que, puisque le feu roi avoit fait la faute beaucoup plus dans la manière de l’exécution que dans la chose même, il y avoit plus de trente ans, et que l’Europe y étoit maintenant accoutumée et les protestants hors de toute raisonnable espérance là-dessus, depuis le refus du feu roi dans la plus pressante extrémité de ses affaires de rien écouter là-dessus, il falloit au moins savoir profiter du calme, de la paix, de la tranquillité intérieure qui en étoit le fruit, et [ne pas] de gaieté de cœur et moins encore dans un temps de régence, se rembarquer dans les malheurs certains et sans ressource qui avoient mis la France sens dessus dessous, et qui plusieurs fois l’avoient pensé renverser depuis la mort d’Henri II jusqu’à l’édit de Nantes, et qui l’avoient toujours très dangereusement troublée depuis cet édit jusqu’à la fin des triomphes de Louis XIII à la Rochelle et en Languedoc. À tant et de si fortes raisons le régent n’en eut aucunes à