Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/121

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un très galant homme, leur donna sous la cheminée la survivance du gouvernement de Douai, qui est très gros et qu’avoit M. d’Estaing.

Biron, aujourd’hui si comblé d’honneurs et de richesses, et son fils aussi de son côté, étoit fort pauvre alors, et chargé d’une grande famille. Je l’avois fait entrer, comme on l’a vu, dans le conseil de guerre. La nécessité pousse quelquefois à d’étranges choses : il s’étoit enrôlé parmi les roués, et soupoit presque tous les soirs chez M. le duc d’Orléans avec eux, où pour plaire il en disoit des meilleures. Par ce moyen, il obtint une des plus étranges grâces que M. le duc d’Orléans pût accorder et du plus pernicieux exemple. On a vu en son lieu la désertion de Bonneval aux ennemis de la tête de son régiment en Italie, et l’infâme cause de cette désertion. Il étoit homme de qualité, de beaucoup d’esprit, avec du débit éloquent, de la grâce, de la capacité à la guerre, fort débauché, fort mécréant, et le pillage n’est pas chose qui effarouche les Allemands. Avec ces talents il étoit devenu favori du prince Eugène, logé chez lui à Vienne, défrayé, et en faisant les honneurs, et lieutenant général dans les troupes de l’empereur. Soit esprit de retour, soit désir de se nettoyer d’une fâcheuse tare, soit dessein d’espionnage et de se donner moyen de se faire valoir chez l’empereur, il désira des lettres d’abolition, et d’oser revenir se remontrer dans sa patrie. Biron en profita pour lui faire épouser une de ses filles pour rien, lui pour son dessein du crédit de Biron. L’abolition fut promise, le mariage conclu, et Bonneval avec un congé pour trois mois de l’empereur vint consommer ces deux affaires. Le régent néanmoins voulut faire approuver l’abolition au conseil de régence. Je n’en pus avoir la complaisance. J’opinai contre, et appuyai longtemps sur les raisons de n’en jamais accorder pour pareil crime. Je ne fus pas le seul, mais peu s’y opposèrent, et en peu de mots. Ainsi Bonneval vit le roi, le régent et tout le monde. Biron me l’amena chez moi. Je n’ai point vu