Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/124

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dans tous les hommes ?) intérêt si puissant de vengeance, tout concouroit dans M. le duc d’Orléans d’être ravi de se voir enfin en état de briser un colosse sous lequel il avoit été si près d’être écrasé, et de pouvoir le mettre si facilement et si sûrement en miettes, avec la bénédiction de Dieu et l’acclamation de tous les ordres du royaume et de tout le monde en particulier, excepté une poignée d’affranchis ou de valets. Qui en sa place n’eût pas acheté bien cher le bonheur d’une telle position ? Elle ne fit pas la plus légère sensation sur M. le duc d’Orléans ; et pour comble de la plus incroyable apathie, un détachement de soi-même si prodigieux, et dont l’occasion auroit fait trembler les plus grands saints sur eux-mêmes, ne lui fut d’aucun mérite, ni pour ce monde, envers lequel il s’aveugla et se méprit si lourdement, ni pour l’autre vers lequel il ne fit pas la plus légère réflexion. Hélas ! la main de Dieu étoit sur lui et sur le royaume ; et il étoit dans cette affaire la proie et le jouet d’Effiat, et des autres gens de cette espèce que le duc du Maine avoit auprès de lui, dont il ne se délioit pas, tandis qu’il y étoit en garde contre ses plus éprouvés serviteurs.

Comme sur le parlement, j’avois pris le parti de ne lui jamais ouvrir la bouche sur les bâtards. L’intérêt de rang, et ce qui s’étoit passé entre M. du Maine et moi à la fin de l’affaire du bonnet sous le feu roi, me rendoit suspect, et après tout ce que nous nous étions dit dans d’autres temps l’un à l’autre, sur tout ce qui regardoit les bâtards, et en particulier M. du Maine à son égard, il étoit honteux et empêtré avec moi, et je n’avois plus rien à lui dire. Les princes du sang avoient été fort aises de notre requête contre les bâtards qui n’avoient osé s’en fâcher, mais qui l’étoient beaucoup. Je n’avois pas pris la peine d’en rien dire au duc du Maine après qu’elle fut présentée, quoique revenus ensemble comme an l’a vu sur un pied d’honnêteté. Pour le comte de Toulouse, auprès de qui j’étois toujours nécessairement au conseil, au premier qui se tint depuis la requête présentée