Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/137

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du pape, portés jusqu’à lui par les ennemis d’Acquaviva et d’Aldovrandi, ne laissoient pas de l’ébranler beaucoup. Mais bientôt après les lettres d’Aubenton réparoient tout. Le pape si défiant ne se pouvoit défier de l’ambition ni de l’esclavage de ce jésuite, dans la pleine conviction où il lui avoit plu de s’établir du dévouement sans réserve d’Aubenton à sa personne et à son autorité, dont aucun autre attachement, ni sa place même, ne pouvoit affaiblir la plénitude, et c’étoit de ces témoignages dont Aldovrandi faisoit boucher pour raffermir le pape sur cette promotion, et sur l’accommodement des différends avec l’Espagne. Ce prélat craignit de la part des neveux de Giudice qui étoient à Rome, et voulut agir auprès d’eux, mais il n’y trouva nul obstacle à vaincre. Cellamare leur aîné, sage et habite, mais bas courtisan, craignant pour sa fortune, leur avoit écrit de façon qu’il n’y eût rien à appréhender de leur part. Aldovrandi étoit en peine aussi que la France ne mît des obstacles, mais il fut rassuré par le cardinal de La Trémoille, qui lui promit de contribuer plutôt que de traverser parce que le pape ne pouvoit refuser de donner un chapeau à la France, lorsqu’il en accorderoit un au premier ministre d’Espagne, ce que l’événement ne vérifia pas. Ainsi, tout s’aplanissant devant lui, le pape dans le besoin qu’il croyoit en avoir, lui faisoit faire souvent des compliments et des assurances d’une estime et d’une confiance qu’il n’avoit pas, et d’une reconnoissance de son zèle et de ses services aussi fictive. Aldovrandi demanda une nouvelle lettre de la main de la reine pour presser de nouveau cette promotion, et voulut qu’elle contînt des menaces contre quiconque la voudroit traverser. Albéroni soutenoit ces menées par ses promesses en maître absolu qu’il étoit, et par ses préparatifs. Il disposoit de l’argent venu par les galions, il abandonnoit le projet des travaux des ports de Cadix et du Ferrol, et il assuroit qu’il paroîtroit une flotte au mois de mars dans les mers d’Italie, telle qu’il ne s’en étoit point vu depuis Philippe II, si le pape