Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/140

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étoit peiné de n’être pas assez instruit des intentions de l’Espagne. Il craignoit que les ambassadeurs de France ne le fissent tomber dans quelque piège ; et il croyoit remarquer que leur conduite avec lui étoit tendue à le tromper, du moins à l’empêcher de jeter quelque obstacle à la négociation qu’ils désiroient ardemment de conclure. Il les examinoit de près, et il remarqua qu’ils n’avoient point de portrait du roi chez eux, et qu’ils ne nommoient jamais son nom. Il se trouva bientôt fort loin de ses espérances et de celles qu’il avoit si positivement données.

Albéroni lui ordonna de déclarer au Pensionnaire que le roi d’Espagne étoit prêt à traiter avec la république, et de demander que les pouvoirs en fussent envoyés à Riperda, parce que c’étoit à Madrid que le roi d’Espagne vouloit traiter. Beretti se voyant enlever la négociation vit les personnages principaux de la république et leurs intentions avec d’autres yeux. Heinsius lui répandit, avec une froide joie des bonnes intentions du roi d’Espagne, que ses maîtres étant actuellement occupés à traiter avec la France, il falloit achever cet ouvrage, et laisser au temps à mûrir les affaires pour mettre plus sûrement la main à l’œuvre suivant que les conjonctures y seroient propres. Beretti lui voulut faire craindre les desseins de l’empereur. Le Pensionnaire ne disconvint pas que la conduite de Prié à la Haye n’eût ouvert les yeux, et changé dans plusieurs l’inclination autrichienne, mais il évita toujours d’approfondir la matière, d’où Beretti conclut qu’Heinsius vouloit faire le traité avec l’Espagne, non à Madrid, mais à la Haye.