Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/360

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temps ni la liberté de penser, que chacun a ses affaires domestiques, et encore avec les entraves qui ne sont pas cessées depuis un assez long temps pour qu’on ait pu les oublier. Il est difficile d’espérer qu’il se soit formé dans ce long genre de gouvernement un assez grand nombre de gens pour l’administration des affaires publiques à travers les périls attachés à cette sorte d’application, d’où il ne se peut qu’il n’étincelle toujours quelque chose, et dans le dégoût de l’inutilité qui s’y trouvoit jointe. Je dis donc, et à Dieu ne plaise que je, pense autrement de ma nation, et d’une nation qui s’est toujours si fort distinguée parmi toutes les autres en tout genre ! je dis donc qu’elle abonde en esprit et en talents, mais que cet esprit et ces talents ayant été si longuement enfouis à l’égard de ce dont il s’agit maintenant, ce seroit comme une création subite, si on voyoit le talent et l’art de l’administration, et en chose si difficile, paroître en un nombre suffisant de députés pour former avec succès des délibérations heureuses, et qui pussent remédier aux maux généraux pour lesquels on les auroit assemblés ; que c’est un malheur, qu’on ne peut jamais assez déplorer, et qui ne peut être assez fréquemment et assez fortement inculqué au roi, que d’avoir rendu inutiles tant d’excellents esprits, qui font maintenant un si grand besoin, par les avoir continuellement gouvernés sans aucune liberté d’application, et d’avoir commis cette faute dans une nation unique peut-être dans le monde, en théorie et en pratique, par sa fidélité, son obéissance, son attachement, son amour pour sa patrie et pour ses rois. Mais le mal est fait par une longue suite d’années écoulées sur le même ton. Il ne se peut réparer que par un autre espace de temps où il soit permis de s’instruire, de penser et de raisonner ; et il s’agit présentement que ce temps ne fait que commencer sous les heureux auspices [de la régence] de toutes les régences la plus douce et la moins contredite, de se servir de ce que la nation peut offrir, et non de ce qu’on a ci-devant comme