Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/424

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coin de ses États d’Allemagne. La jalousie du commerce empêcha Georges d’y consentir. Pierre, engagé dans la guerre de Pologne, puis dans celle du Nord, dans laquelle Georges l’étoit aussi, négocia vainement. Il en fut d’autant plus irrité, qu’il ne le trouvoit pas en situation d’agir par la force, et que ce canal, extrêmement avancé, ne put être continué. Telle fut la source de cette haine, qui a duré toute leur vie et dans la plus vive aigreur.

Kurakin étoit d’une branche de cette ancienne maison des Jagellons, qui avoit longtemps porté les couronnes de Pologne, de Danemark, de Norvège et de Suède. C’étoit un grand homme bien fait, qui sentoit fort la grandeur de son origine, avec beaucoup d’esprit, de tour et d’instruction. Il parloit assez bien françois et plusieurs langues ; il avoit fort voyagé, servi à la guerre, puis été employé en différentes cours. Il ne laissoit pas de sentir encore le russe, et l’extrême avarice gâtoit fort ses talents. Le czar et lui avoient épousé les deux soeurs, et en avoient chacun un fils. La czarine avoit été répudiée et mise dans un couvent près de Moscou, sans que Kurakin se fût senti de cette disgrâce. Il connoissoit parfaitement son maître avec qui il avoit conservé de la liberté, de la confiance et beaucoup de considération ; en dernier lieu, il avoit été trois ans à Rome, d’où il étoit venu à Paris ambassadeur. À Rome, il étoit sans caractère et sans affaires que la secrète pour laquelle le czar l’y avoit envoyé comme un homme sûr et éclairé.

Ce monarque, qui se vouloit tirer lui et son pays de leur barbarie et s’étendre par des conquêtes et des traités, avoit compris la nécessité des mariages pour s’allier avec les premiers potentats de l’Europe. Cette grande raison lui rendoit nécessaire la religion catholique, dont les grecs se trouvoient séparés de si peu qu’il ne jugea pas son projet difficile à faire recevoir chez lui en y laissant d’ailleurs la liberté de conscience. Mais ce prince instruit l’étoit assez pour vouloir être auparavant éclairci sur les prétentions romaines. Il