Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/454

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unique de sa promotion, qui ne touchoit, disoit-il, que la reine. Il continuoit à garder le silence qu’il s’étoit imposé, et de dire qu’il savoit bien que, s’il proposoit quelques tempéraments, ses envieux diroient qu’il ne songeoit qu’à ses intérêts aux dépens de ceux de ses maîtres, jusque-là qu’il étoit convaincu de leur cacher les lettres d’Acquaviva : c’étoit un bon reproche qu’il lui faisoit de n’avoir pas été assez ferme à presser le pape ; que les lénitifs n’étoient ni selon l’humeur du roi ni selon celle de la reine ; qu’à l’avenir Rome seroit obligée à plus d’égards pour eux ; que Leurs Majestés Catholiques donneroient enfin des marques de leur ressentiment à une cour pleine de brigands, aisée à châtier par l’intérêt ; qu’étant lui-même homme d’honneur et désintéressé, il seroit content d’avoir préféré la décence du service de ses maîtres à sa propre élévation ; que s’ils avoient désiré un chapeau de cardinal, il leur conviendroit enfin de le mépriser, voyant l’étrange procédé de Rome ; qu’il ne doutoit pas que, si le roi d’Espagne changeoit de résolution sur l’envoi de ses vaisseaux, ce changement ne fût attribué à son ministère, et que quelque fripon ne répandît qu’il se seroit servi de son crédit pour ôter ce secours à la chrétienté ; que le pape seul perdroit la religion, puisque dans le même temps qu’il accordoit aux instances de ses parents la dignité de cardinal pour un homme vendu aux Allemands, il refusoit avec mépris là justice que le roi d’Espagne lui demandoit. Il établissoit pour principe (et ce principe est très vrai, et c’est la seule vérité qu’Albéroni dise ici), il établissoit pour principe qu’il ne falloit pas filer doux avec la cour de Rome, que tous les remèdes mitoyens étoient mauvais, et que le temps détromperoit enfin de l’orviétan de cette cour ; il ajoutoit que ses amis les plus dévoués ne pouvoient approuver sa conduite, que le confesseur même jetoit feu et flamme ; mais Albéroni ne prétendoit pas lui en savoir gré, parce que, si ce jésuite en usait autrement, il s’en trouveroit mal.