Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/468

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ou quelque conduite qu’elle n’approuve pas, on lui demande en grâce de le dire. Un mot réglera tout sur le pied qu’il lui plaira. On conjure d’accorder sa confiance et de faire connoître toutes les choses qu’elle affectionnera, de quelque nature qu’elles soient, et celles qu’elle voudra faire réussir sans y paroître, et on demande cela avec la plus grande instance du monde, n’ayant point de plus forte passion que de rendre quelque service agréable, et le zèle n’empêchera pas que l’on ait la discrétion nécessaire. Tout le monde appréhende la domination nouvelle de M. le Prince (Louis de Bourbon), et que Son Éminence ne puisse résister à ses flatteries [1], et que l’on ait le déplaisir de le voir, sous divers prétextes, triompher de ceux qui ont servi longtemps contre lui. Secret et dissimulation, sans exception, à tout le monde. M. Le Tellier vit fort honnêtement, en apparence, mais peut avoir jalousie et craindre que la faveur n’aille d’un autre côté. Si elle trouve bon qu’on lui rende compte de ce qu’on apprend, ou s’il y a quelque chose dont elle désire savoir la vérité, en s’ouvrant un peu, on tâchera de la satisfaire. »

Fouquet ne paroît pas avoir réussi à gagner Anne d’Autriche. Il prit alors les plus minutieuses précautions pour pénétrer ses secrets il l’entoura d’espions et gagna jusqu’à son confesseur. Nous avons les lettres d’un anonyme qui servoit d’intermédiaire entre Fouquet et le cordelier confesseur de la reine. En voici quelques extraits :

« Le cordelier dit hier [2] à la personne dont j’ai parlé à monseigneur que la reine mère lui avoit conté un mécontentement qu’elle avoit eu du roi, sur ce que l’autre jour, entrant fort brusquement dans sa chambre, il lui fit reproche de ce qu’elle avoit prié M. de Brienne [3] de quelque affaire, et qu’il lui dit en propres termes et fort en colère : Madame, ne faites plus de pareilles choses sans m’en parler ; qu’à cela la reine ne répondit rien et ne fit que rougir. Il a encore dit que Monsieur [4] se plaignoit, et qu’il avoit dit depuis à quelqu’un que le roi le traitoit comme un chien. Au reste, il assure que la reine mère croit que M. le Prince [5]

  1. Le prince de Condé avait quitté la Belgique pour rentrer en France le 29 décembre 1659 ; Mazarin mourut le 9 mars 1661 ; c’est entre ces deux dates, probablement vers le commencement de 1660, que cette lettre de Fouquet a dû être écrite. Quant aux flatteries de Condé envers Mazarin, on en trouve la preuve dans une lettre que le prince écrivait au cardinal le 24 décembre 1659, peu de jours avant de quitter Bruxelles : « Pour vous, monsieur, lui disait-il, quand je vous aurai entretenu une heure, vous serez bien persuadé que je veux être votre serviteur, et je pense que vous vous voudrez bien aussi m’aimer. »
  2. Cette lettre est du 22 avril 1661.
  3. Secrétaire d’État chargé des affaires étrangères.
  4. Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV.
  5. Louis de Bourbon dont il était question dans la pièce citée précédemment.