Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/472

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de vous, monseigneur, dit : « Il se croit à cette heure bien mieux que M. D. à la charge de maître de la chapelle du roi, qu’on a achetée trois fois plus qu’elle ne valoit ; il verra, il verra à quoi cela lui a servi, et ce qu’a fait sur l’esprit du roi tout l’argent qu’il a baillé de sa propre bourse pour le marquis de Créqui [1]. Le roi aime d’être riche, et n’aime pas ceux qui le sont plus que lui, puisqu’ils entreprennent des choses qu’il ne sauroit faire lui-même, et qu’il ne doute point que les grandes richesses des autres ne lui aient été volées. »

« Mme de Chevreuse, lorsqu’elle fut ici, fut voir deux fois le confesseur de la reine mère. Cependant ce bonhomme cacha cela à M. Pellisson, qui, l’ayant été voir, lui demanda s’il ne l’avoit point vue ; ce qu’il lui nia, comme il a dit depuis. Il a encore dit ici des choses qu’il a données sous un fort grand secret, et qui sont de très grande conséquence. La personne qui les sait fait difficulté de me les dire, parce que Mme de Chevreuse y est mêlée, et que lui étant aussi proche, elle a peine à me les dire. Je ne manquerai point de vous les apprendre lorsque je les saurai, ne doutant point qu’on ne me les dise enfin. Si M. Pellisson voit le bonhomme, il ne faut pas qu’il fasse l’empressé avec lui, ni qu’il témoigne savoir ce qu’il n’a pas voulu lui dire. »

Ces avis n’arrêtèrent point Fouquet dans la voie qui le menoit à l’abîme. Il crut, après la mort de Mazarin (9 mars 1661), que la puissance du cardinal alloit passer tout entière entre ses mains. La plupart de ses partisans l’entretenoient dans cette illusion ; leurs lettres apprennent qu’ils le nommoient l'Avenir, et voyoient déjà en lui l’arbitre de la France. L’un d’eux lui écrivoit (le Bordeaux, le 29 août 1661, quelques jours avant son arrestation : « Si les ennemis de monseigneur ont fait courir des bruits à son désavantage, ils sont bien punis. Tout le monde présentement, dans ces provinces, ne parle que du crédit qu’il a sur l’esprit du roi, et dit cent choses avantageuses que je ne puis mettre sur ce papier. »

Jusqu’à quel point Fouquet porta-t-il ses vues ambitieuses ? Voulut-il, comme on l’a souvent répété, faire de Belle-Ile une forteresse, où il auroit pu, en cas de disgrâce, braver l’autorité du roi ? On ne peut nier l’authenticité du plan trouvé dans ses papiers pour fortifier cette île et prendre toutes les mesures nécessaires afin de se mettre à l’abri de la vengeance du roi. Jamais ni Fouquet ni ses défenseurs n’ont prétendu que ce plan eût été inventé par leurs ennemis. On voit d’ailleurs, par les lettres adressées au commandeur de Neuchèse [2],

  1. François de Créqui avait épousé la fille de Mme du Plessis-Bellière, qui avait une grande influence sur le surintendant.
  2. Ce commandeur de l’ordre de Malte avait été nommé vice-amiral et intendant général de la marine le 7 mai 1661, en remplacement de Louis Foucault de Saint-Germain.