Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/483

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Hambourg, Saxe, Prusse et du reste de l’Allemagne. Il régloit en même temps la future succession de l’empereur entre ses héritiers naturels.

« Alors il y avoit à Paris un grand seigneur d’Espagne, appelé don Manuel, envoyé par Albéroni comme simple voyageur, mais pour s’aboucher avec le sieur Hogguer, dépositaire de tous ces secrets. Ils s’assemblèrent tous les soirs ensemble chez Mlle Desmares, illustre comédienne et maîtresse d’Hogguer. Ils soupoient ensemble ; mais avant souper et pendant la comédie, ils s’enfermoient ensemble, travailloient sur des cartes géographiques et écrivoient beaucoup.

« Cependant le baron de Goertz, pour donner de la jalousie et piquer la curiosité de M. le duc d’Orléans, avoit fait cette manœuvre-ci il avoit fait écrire la partie la moins importante et la moins secrète de ces projets partie en chiffres, en sorte que cette dépêche étoit tombée entre les mains de notre résident à Berlin, lequel n’avoit pas manqué de l’envoyer d’abord à M. le duc d’Orléans. On y voyoit bien que don Manuel étoit à Paris pour cela de la part d’Albéroni, mais on y trouvoit qu’il correspondoit pour cela avec un Suédois nommé Sobrissel. On faisoit de grandes perquisitions pour découvrir où étoit ce Sobrissel à Paris, et on ne trouvoit rien ; on savoit seulement qu’il étoit fils d’un sénateur de Suède. Mais ce nom de Sobrissel couvroit celui d’Hogguer, qui étoit désigné par là. Mon père, alors garde des sceaux de France, avoit conservé des émissaires de la police ; il avoit mis plus de cent personnes à cette découverte, et on ne trouvoit rien, comme je dis.

« Alors M. le duc d’Orléans manda Hogguer pour le savoir. Celui-ci, fidèle à la France, songea d’abord à la bien servir, mais en ne trahissant point la cause étrangère dont il étoit chargé. Il savoit que le régent devoit y être admis à de bonnes conditions et à propos, et le temps en étoit venu par l’inquiétude et la jalousie dont il étoit piqué. Il est vrai qu’il ne pouvoit être admis qu’avec dépit de la part de l’Espagne, qui avoit ses intérêts particuliers contre lui ; mais la Suède n’étoit là dedans que pour favoriser le régent, et ce fut cette admission qui chagrina l’émissaire d’Albéroni, comme je vais dire, s’imaginant que Hogguer le trahissoit totalement après lui avoir fait signer le traité.

« Le régent s’étoit donné de grands mouvements du côté de Suède, de Parme et de Madrid, et l’abbé Dubois ne venoit à bout de rien sur la découverte des grands projets qui transpiroient du roi de Suède et d’Albéroni. Le régent manda donc la Desmares, et l’interrogea sur le comportement d’Hogguer et de don Manuel, qu’il savoit souper chez elle tous les soirs. Elle lui dit tout ce qu’elle savoit, et lui envoya Hogguer. Celui-ci fit bientôt ses ouvertures au régent, et il lui apprit [que Sobrissel] n’étoit autre chose que lui Hogguer ; qu’il étoit le