Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/59

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Gibraltar ne laissoit pas d’être à charge au roi d’Angleterre bien comme il étoit avec les Barbaresques, et fort supérieur en marine à l’Espagne. Avec le Port-Mahon, Gibraltar lui étoit inférieur en usage et en importance à la dépense et à la consommation qu’il lui en coûtoit. Il consentit donc à le rendre à l’Espagne moyennant des riens qui ne valent pas s’en souvenir ; mais comme il ne vouloit pas s’exposer aux cris du parti qui lui étoit contraire, il exigea un grand secret et une forme. Pour le secret, il voulut que rien de cela passât par Albéroni, ni par aucun ministre espagnol ni anglois, mais directement du régent au roi d’Espagne par un homme de confiance du choix du régent, et de condition à être admis à parler au roi d’Espagne tête-à-tête. La forme fut que cet homme de confiance du régent seroit chargé de sa créance, d’une lettre touchant l’affaire du traité, c’est-à-dire d’un papier de ces riens demandés par le roi d’Angleterre prêt à être signé, et d’un ordre positif du roi d’Angleterre, écrit et signé de sa main, au gouverneur de Gibraltar de remettre cette place au roi d’Espagne à l’instant que l’ordre lui seroit rendu, et de se retirer avec sa garnison, etc., à Tanger. Pour l’exécution, un général espagnol devoit marcher subitement à Gibraltar sous prétexte des courses de sa garnison ; et sous celui d’envoyer sommer le gouverneur, lui porter l’ordre du roi d’Angleterre, et en conséquence être reçu et mis en possession de la place. La couleur étoit foible, mais c’étoit l’affaire du roi d’Angleterre.

Le duc de Noailles étoit alors dans la grande faveur et vouloit tout faire. Il ne faut pas être glorieux. Je ne sus rien de tout cela que du second bond et par Louville avant que le régent m’en eût rien dit, qui ne m’en parla qu’après. Noailles avec qui seul le choix se fit, dont le maréchal d’Huxelles fut outré, crut faire merveilles de proposer Louville, comme ayant eu longtemps autrefois toute la confiance du roi d’Espagne, et le connoissant mieux qu’aucun