Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/63

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étoit très dangereux à laisser auprès du prince des Asturies.

On se souviendra de l’affaire de Macañas, qui a été racontée en son temps. Son frère, qui étoit dominicain, fut mis en prison par l’inquisition, qui refusa au roi d’Espagne de lui en remettre le procès ; et en même temps ce tribunal déclara par un décret Macañas hérétique, et le cita à comparaître dans quatre-vingt-dix jours. C’étoit un nouvel attentat, après celui du refus du procès de son frère. Macañas depuis le décret que Giudice fit contre lui dans Marly, et qui le retint si longtemps à Bayonne sans pouvoir rentrer en Espagne, étoit en pays étrangers connu pour être ministre du roi d’Espagne. Ce prince et la reine s’en voulurent prendre à Giudice comme grand inquisiteur et mobile de procédés si insolents, et le chasser. Albéroni leur fit peur de la conjoncture, et de le faire passer pour un martyr ; c’est qu’il craignit que Rome ne s’en prit à lui-même, et que, quelque haine qu’il eût contre Giudice, il avoit encore plus d’affection à son chapeau qu’il craignit d’éloigner, mais il lui donna un autre dégoût. Il fit décharger Molinez du soin des affaires d’Espagne à Rome, comme trop vieux et incapable de les conduire, et les fit donner au cardinal Acquaviva. Giudice haïssait fort toute cette maison, et le cardinal Acquaviva en particulier qu’il regardoit comme l’ami d’Albéroni, et le promoteur de son chapeau.

Aubenton, quoique appuyé directement du pape, et personnellement honoré de toute sa confiance et d’un commerce particulier de lettres avec lui, se sentit trop foible contre Albéroni qui n’étoit qu’un avec la reine, laquelle n’aimoit point les jésuites, et n’en avoit jamais voulu d’aucun pour confesseur. Albéroni, de sa part, craignoit doublement Aubenton, qui avoit la confiance du roi d’Espagne, jusqu’à lui renvoyer quelquefois des affaires à lui seul, et il ne le redoutoit pas moins pour son chapeau à Rome. Cette frayeur réciproque relia ensemble deux ambitieux qui ne connurent