Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/85

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pas à la fortune, qui par degrés le mèneroit à tous les autres, l’avoit pressé de toutes ses farces et de toute son industrie. Les deux principales difficultés étoient le canal de Mardick et le séjour du prétendant à Avignon. Le roi d’Angleterre ni Stanhope n’osèrent traiter à fond, à Hanovre, deux points qui intéressoient la nation anglaise, et il fallut envoyer d’Iberville à Londres pour y régler principalement celui de Mardick avec les ministres anglois. Ceux-ci étoient persuadés que la victoire du prince Eugène étoit un nouvel aiguillon à la France de presser la conclusion du traité. Quelque bonne foi que M. le duc d’Orléans fît paroître dans toute la négociation, la malignité de Stairs n’en put convenir ; l’imposture de cet honnête ambassadeur alla jusqu’à avertir les ministres d’Angleterre que le régent étoit d’intelligence avec les jacobites qui méditoient quelque entreprise ; que le baron de Goertz, ministre du roi de Suède, nouvellement arrivé à la Haye, n’avoit été à Paris que pour la concerter ; que Dillon, lieutenant général au service de France, qu’il avoit déjà mandé être chargé en France des affaires du prétendant, seroit chargé de l’exécution ; et l’impudence étoit poussée jusqu’à donner ces avis, non comme de simples bruits, mais comme des certitudes. Walpole, envoyé d’Angleterre en Hollande, chargé de négocier pour faire entrer les États généraux dans ce traité, n’étoit pas mieux intentionné que Stairs. Il avoit ordre d’agir là-dessus de concert avec l’ambassadeur de France, et faisoit, à son insu, tout ce qui lui étoit possible pour le traverser. C’est à quoi les ministres impériaux travailloient à la Haye de toute leur application. Ceux de Suède s’en plaignoient fort, persuadés qu’ils étoient qu’ils seroient abandonnés par la France, qui garantiroit Brême et Verden au roi d’Angleterre. Stairs, enfin, ne pouvant plus donner de soupçons sur M. le duc d’Orléans, excitoit les ministres d’Angleterre de tenir ferme à toutes leurs demandes, parce qu’il savoit que ce prince accorderoit tout plutôt que de ne pas conclure.