Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 14.djvu/87

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faire chasser. La princesse des Ursins lui en avoit donné une leçon, qu’il n’avoit pas oubliée, et Albéroni avoit aussi besoin de lui, parce que le pape, qui comptoit entièrement sur lui, ajoutoit foi à ce qu’il écrivoit ; et ce qu’il mandoit à Rome étoit du style le plus propre [à] avancer la promotion d’un homme si zélé pour l’Église et si capable de servir puissamment le saint-siège dans les conjonctures difficiles où il se trouvoit.

Aldovrandi, intéressé pour soi-même dans l’avancement de la promotion d’Albéroni, pour retourner jouir de sa nonciature d’Espagne, et abréger son chemin à la pourpre, faisoit valoir au pape le caractère d’Albéroni et son pouvoir peint d’une main que Sa Sainteté croyoit si fidèle. Une nouvelle qui courut alors par les gazettes jusqu’à Rome, et qui fit du bruit, troubla le triumvirat. C’étoit la prétendue brouillerie d’Albéroni et d’Aubenton, et qu’Albéroni alloit être chassé. Quoiqu’il n’y eût aucune apparence de vérité dans ce conte, l’impression qu’il fit à Rome devint très importante pour Albéroni, qui se flattoit tellement de sa prochaine promotion alors, qu’il en recevoit des compliments avec une joie, en même temps avec un ridicule dont ses ennemis surent profiter. Il s’appliqua, lui et ses deux amis, à faire tomber ce bruit, et en démontrer à Rome le mensonge. Giudice, de son côté, que nulle considération ne pouvoit plus retenir, parce qu’il n’avoit plus rien à espérer ni à craindre, n’oublioit rien pour traverser la promotion d’Albéroni. Il protestoit qu’elle étoit injurieuse à la pourpre, au pape, à l’Église ; il demandoit que le pape pour son propre honneur, consultât les évêques et les religieux d’Espagne, sur la vie, les mœurs, la conduite d’Albéroni, sûr que, sur leur témoignage, il rejetteroit pour toujours la pensée de promouvoir un sujet de tous points si indigne. Outre la religion et mille noirceurs sur lesquelles il l’attaquoit, il prétendoit qu’il trahissoit le roi d’Espagne, et qu’ayant été autrefois l’espion du prince Eugène en Italie, il entretenoit encore le