Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/134

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que du dégoût à résister à contretemps, et que bientôt les choses changeroient de face. En effet, la première chose que je fis aussitôt après la mort du roi fut de chasser ce major et d’en mettre un autre.

Plénoeuf avoit de l’esprit et de l’intrigue ; il vouloit ne rien perdre à sa déconfiture, et revenir à Paris riche et employé, s’il pouvoit. Il se fourra donc dans le subalterne de la cour de Turin ; par là eut quelque accès auprès des ministres, imagina de travailler au mariage d’une fille de M. le duc d’Orléans avec le prince de Piémont. Sa femme fort intrigante et de beaucoup d’esprit, manégea si bien qu’elle vit Mme la duchesse d’Orléans plusieurs fois en particulier, et lui donna tant d’espérance que la négociation ne pouvant demeurer entre les mains du mari et de la femme avec décence aux yeux des ministres de la cour de Turin, Mme la duchesse d’Orléans proposa de m’en charger. Mme de Plénoeuf ne me connoissoit point ; elle dit seulement à Mme la duchesse d’Orléans que je n’aimois pas son mari, et lui conta ce qui vient d’être expliqué. Cela ne rebuta point Mme la duchesse d’Orléans : elle me pria de passer pour l’amour d’elle sur ce mécontentement d’un homme de plus si infime, et de vouloir recevoir Mme de Plénoeuf et entrer en commerce direct avec Plénoeuf sur ce mariage.

Par ce qu’on a vu de la situation du régent et du roi de Sicile, l’un à l’égard de l’autre, cette négociation de mariage étoit fort déplacée : c’étoit ce qu’il ne m’étoit pas permis de dire à Mme la duchesse d’Orléans ; mais quand M. le duc d’Orléans m’en parla, deux jours après, je ne lui cachai pas ce que j’en pensois, et ma surprise de sa complaisance. Il en convint : « Mais, après tout, me dit-il, c’est un coup d’épée dans l’eau ; et, quoique sans apparence, il est des choses bizarres qui réussissent quelquefois : ce ne sont que quelques lettres perdues qu’il nous en coûtera à tout hasard. » Je ne pus donc m’en défendre.