Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Cette affaire, dans laquelle je n’entrerai pas ici, étoit susceptible de trois sortes d’opinions : laisser le pays de Lalleu comme il étoit, membre des états de Lille ; l’en distraire et l’adjoindre à ceux d’Artois ; enfin, laisser ce petit pays indépendant de ces deux états, et qu’il en eût pour lui tout seul. C’est ce que ce petit pays demandoit, consentant toutefois à demeurer comme il étoit, uni si on le vouloit aux états de Lille, mais se défendant d’être uni à ceux d’Artois. Mon avis étoit qu’il eût des états particuliers pour lui, et qu’il ne fût membre ni de ceux de Lille ni de ceux d’Artois. C’étoit aussi celui du chancelier quand nous sortîmes du conseil du matin, comme je viens de le dire.

Nous n’eûmes que le temps de dîner. À trois heures le conseil commença. Quoiqu’on y fût fort accoutumé aux beaux rapports de d’Antin, l’exactitude, la précision, l’explication foncière, la netteté, la force, l’agrément de son rapport avoit enlevé la compagnie, qui ne la fut pas moins de sa belle, longue et forte opinion l’après-dînée. Il se peut dire qu’il excelloit en ce genre sur tous les magistrats ; avec cela une mémoire qui n’oublioit pas les plus petites choses ; qui ramenoit tout avec ordre, justesse et clarté, qui rie se méprenoit jamais en aucun fait, circonstances, nom propre, date, et qui, à mesure qu’il en citoit, disoit à l’évêque de Troyes, devant qui d’ordinaire il mettoit la pile de ses papiers, le cahier, la liasse, la page par numéro et par chiffre, où il trouveroit ce qu’il citoit, et ; dans le moment même, M. de Troyes le trouvoit et le lisoit tout haut. D’Antin, qui n’opinoit jamais pour soi-même, et qui ne faisoit que rapporter l’avis du conseil du dedans, ainsi que tous les autres chefs des autres conseils sur les affaires qu’ils en rapportoient au conseil de régence, fut pour les états d’Artois. Presque tous le suivirent, le peu d’autres furent pour ceux de Lille.

Mon rang d’opiner étoit immédiatement avant le chancelier, après lequel il n’y avoit plus que les deux bâtards et