Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/158

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constitution, au gouvernement. Elle épuisa tous les entours et les environs avec une impatience de ma part inexprimable. Enfin elle se mit sur le ton des oracles, serrant la bouche, tournant les yeux, accommodant sa coiffe, frottant son manchon, tantôt me regardant à me pénétrer, puis baissant les yeux et jouant de l’éventail, disant deux mots coupés et laissant le sens suspendu, tombant dans un morne silence. Ce manège fut constant dans toutes les visites que j’en reçus depuis, et qui furent assez fréquentes pendant quatre ou cinq mois. Enfin elle me fit entendre qu’il se brassoit beaucoup de choses très importantes contre M. le duc d’Orléans et contre son gouvernement, qu’elle n’en pouvoit douter, et sans rien spécifier ni nommer lieux ou gens, elle ne cessoit d’appuyer sur la certitude de ses connoissances, et de m’exhorter d’y prendre garde, et d’avertir M. le duc d’Orléans pour qui elle me dit merveilles de son attachement et de l’obligation qu’elle se croyoit en conscience de venir à moi par mon attachement pour lui, et la confiance qu’il avoit en moi. J’eus beau lui dire que, dans les avis qu’elle avoit la bonté de me donner, je ne voyois qu’une inquiétude inutile à prendre, sans aucune lumière qui pût conduire aux précautions nécessaires, je n’en pus jamais tirer davantage, sinon qu’elle me reverroit quelquefois avec le même mystère, qu’elle verroit quand et comment elle m’en pourroit dire davantage ; revint à appuyer la certitude de ses connoissances, revint aux compliments et aux protestations, et surtout exigea le plus entier secret de M. le duc d’Orléans et de moi, et que je n’allasse, jamais chez elle, parce que le moindre soupçon qu’on auroit d’elle la perdroit. Tout ce verbiage dura près de deux heures, et, le mystère fut poussé jusqu’à exiger que je fermerois la porte de mon cabinet sur elle sans la conduire un pas.

Je savois bien qu’il se brassoit quelque chose en Bretagne, où les états n’étoient point encore assemblés. Mais Mme d’Alègre étoit de Toulouse, son mari d’Auvergne. Je