Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/162

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n’oublioit rien pour avoir de grandes forces pour faire craindre l’Espagne, et obtenir de meilleures conditions quand il faudroit traiter.

Il comptoit tellement sur la mauvaise disposition de l’Angleterre, qu’il vouloit, pour premier point préliminaire, que la négociation ne se traitât point à Londres. Il se flattoit qu’il y auroit bientôt des mouvements considérables en ce pays-là. Il se mit à caresser le Prétendant, sans toutefois lui donner le plus petit secours, et il lui fit passer par le cardinal Gualterio l’avis de se marier, comme étant celui de tous les Anglois, même les plus opposés à son rétablissement, et la chose la plus agréable à toute l’Angleterre, comme le sachant d’un homme principal et fort mêlé dans le gouvernement.

Albéroni n’avoit laissé que le nom et les places aux conseillers d’État, qui est ce que nous appelons ici les ministres. Il ne leur communiquoit que des choses indifférentes ; les secrétaires d’État n’avoient même aucune part à rien de son entreprise. Il en avoit écrit et signé de sa main tous les ordres. Patiño seul en conduisoit l’exécution sous lui. Il vouloit le même secret dans toutes les affaires, et que les ministres d’Espagne dans les cours étrangères ne rendissent compte qu’à lui tout seul. Il avoit de plus la raison de l’État du roi d’Espagne, accablé de vapeurs qui le faisoient juger plus mal qu’il n’étoit. Sa mélancolie étoit extrême, et quoique extérieurement soumis à la reine et aux volontés du cardinal, qui disposoit seul en effet de toutes les affaires, il y en avoit néanmoins de particulières, où la mauvaise humeur du roi éclatoit au-dehors assez pour y être connue et remarquée par les ministres étrangers.

L’abbé del Maro, ambassadeur du roi de Sicile à Madrid, étoit celui [qui, par] la vigilance à être des mieux informés et la pénétration qu’Albéroni ne pouvoit tromper, lui étoit le plus odieux comme un surveillant insupportable : Il prit aussi un soin particulier de le décrier dans sa cour, et dans