Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/192

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de traiter, en s’expliquant différemment à l’Angleterre et à la France. Il s’excusa au général Stanhope sur ce qu’il attendoit les réponses du régent, sans lesquelles l’union inséparable des deux couronnes l’empêchoit de rien faire ; au duc de Saint-Aignan que, si le régent tenoit le même langage sur l’union des deux couronnes, il joueroit dans le monde un rôle différent de celui qu’il y jouoit. Il paraphrasa l’indignité de sa servitude pour l’Angleterre, la terreur panique qu’on prenoit de l’empereur, les grandes choses qui résulteroient, à l’avantage des deux couronnes, d’une union effective et stable. Il avoit raison sans doute, mais pour cela il auroit fallu chasser Albéroni et Dubois dans les pays les plus éloignés de la France et de l’Espagne, qui toutes les deux n’eussent jamais tant gagné.

Saint-Aignan lui représenta que les choses étoient déjà bien avancées ; que le régent étoit d’accord avec l’Angleterre sur les conditions de la paix ; que, si l’Espagne étoit attaquée, la France ne pourroit la secourir, l’état du royaume obligeant à conserver la paix dont il jouissoit. Albéroni répondit que le roi d’Espagne ne s’éloigneroit jamais d’un accommodement à des conditions équitables ; qu’il se défendroit jusqu’à la dernière goutte de son sang si l’empereur étoit injuste dans ses demandes ; finit en disant qu’il ne pouvoit croire que, si le roi d’Espagne étoit attaqué dans le continent de son royaume, une nation qui l’avoit porté et maintenu sur ce trône le voulût voir retourner en France simple duc d’Anjou ; que si ce prodige arrivoit, il faudroit bien s’accommoder à la nécessité.

Ce discours fit un grand bruit, et fut interprété fort diversement. Ce qui est certain, c’est qu’Albéroni éloigna toujours la négociation ; qu’il avoit des motifs cachés d’espérance qu’on ne pénétra point ; qu’il croyoit se faire une ressource d’une ligue qu’il formeroit entre le czar et la Suède ; qu’il comptoit qu’il pouvoit naître de jour en jour des événements favorables à l’Espagne. Il jugeoit pouvoir faire agir