Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/215

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se faisoit un grand mérite, à son égard, d’avoir suspendu le second embarquement, ce qu’il n’avoit fait que par impuissance ; il comptoit que l’Italie ne seroit jamais tranquille tant que l’empereur y posséderoit un pouce de terre ; il se flattoit que la conquête de la Sardaigne encourageroit les Turcs à continuer la guerre ; il se moquoit et se plaignoit de la faiblesse du pape, qui étoit une des sources de la fierté des Allemands et de l’insupportable hauteur de leurs demandes, surtout de celle d’envoyer un commissaire pour lui faire son procès à Madrid ; il s’exhala en injures et en épithètes, dit qu’il ne conseilleroit pas au pape de le hasarder, parce qu’il ne seroit pas sûr que son commissaire fût bien reçu ; qu’à l’égard de la citation il pourroit se rendre à Rome si le roi d’Espagne y consentoit, mais que ce seroit avec une telle compagnie qu’elle pourroit déplaire au pape, et plus encore à l’auteur de la demande, dont il prit occasion de déclamer contre la domination tyrannique que les Allemands entreprenoient d’étendre sur le genre humain, et la nécessité et l’intérêt pressant de toutes les nations de s’unir contre leur ambition. Loin de croire que la négociation de Londres fût propre à la borner, il la décrioit comme un artifice concerté entre l’empereur et le roi d’Angleterre pour tenir en panne la France et l’Espagne, et se moquer après de toutes les deux. Mais pour éviter l’odieux de ne vouloir entendre à rien qui pût conduire à la paix, il déclara que le roi d’Espagne étoit prêt à intervenir dans la négociation par un ministre, quand le régent jugeroit que l’empereur se porteroit véritablement à une paix solide et sûre pour le repos de l’Italie ; mais s’il se voyoit obligé d’envoyer un ministre à Londres, Albéroni comptoit bien d’y prolonger la négociation, de la suspendre, d’en arrêter la conclusion, suivant qu’il le jugeroit à propos, et d’armer pour cela son ministre de propositions équivalentes à celles des Impériaux, comme de prétendre, pour condition préliminaire, le remboursement des dépenses de la conquête de la Catalogne et de Minorque, que