Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/248

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Cette occasion m’arrache une vérité que j’ai reconnue pendant que j’ai été dans le conseil, et que je n’aurois pu croire, si une triste expérience ne me l’avoit apprise, c’est que tout bien à faire est impossible. Si peu de gens le veulent de bonne foi, tant d’autres ont un intérêt contraire à chaque sorte de bien qu’on peut se proposer. Ceux qui le désirent ignorent les contours, sans quoi rien ne réussit, et ne peuvent parer aux adresses ni au crédit qu’on leur oppose, et ces adresses appuyées de tout le crédit des gens de maniement supérieur et d’autorité, sont tellement multipliées et ténébreuses, que tout le bien possible à faire avorte nécessairement toujours. Cette affligeante vérité, et qui sera toujours telle dans un gouvernement comme est le nôtre, depuis le cardinal Mazarin, devient infiniment consolante pour ceux qui sentent et qui pensent, et qui n’ont plus à se mêler de rien.

La fermentation du parlement augmentoit à mesure que les espérances augmentoient du côté de la Bretagne. Cette compagnie, qui a toujours voulu troubler et se mêler du gouvernement avec autorité pendant les régences, avoit un chef qui vouloit figurer, qui étoit également nécessiteux et prodigue, qui, dans son ignorance parfaite de son métier de magistrat, avoit les propos à la main, l’art de plaire quand il vouloit, et la science du grand monde ; que les paroles les plus positivement données, que l’honneur, que la probité ne retenoient jamais, et qui regardoit la fausseté et l’art de jouer les hommes comme une habileté, même comme une vertu dont on ne se pouvoit passer dans les places : en ce dernier point malheureusement homogène au régent jusqu’à lui avoir su plaire par un endroit qui auroit dû lui ôter toute confiance.

Livré, comme on l’a vu, pieds et poings liés au duc et à la duchesse du Maine, il étoit informé des progrès de ce qu’ils brassoient en Bretagne et partout, et il mettoit tout son art à se conduire au parlement en conséquence, mais