Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/257

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écarter de lui peu à peu ceux qui, de façon ou d’autre, avoient le plus de part en sa confiance. La charge des finances l’entraînoit nécessairement, et lui étoit redoutable dans un homme tel que le duc de Noailles : Il saisit donc l’occasion de l’écarter, persuadé qu’après l’éclat de l’avoir sacrifié à Law, Noailles ne reprendroit plus de, confiance, et ne seroit plus un homme qu’il pût craindre.

Je savois par Law que les coups de Dubois avoient porté, et c’étoit ce qui le désoloit de son absence. Il eût bien voulu m’engager à y suppléer ; mais je connoissois trop les défiances du régent, pour me presser : il me regardoit avec raison comme l’ennemi déclaré et sans mesure du duc de Noailles, mes discours à son égard, auroient porté à faux. D’ailleurs je me trouvois hors d’état de me décider moi-même sur le meilleur parti à prendre pour les finances entre eux, et je ne voulois pas prendre sur moi, quelque haine que j’eusse contre Noailles, de jeter l’État et le régent entre les bras de Law, et d’un système aussi nouveau que le sien. Je laissois donc aller les choses, attentif cependant à en être bien instruit et à me tenir dans un milieu à l’égard du régent, à ne le pas refroidir de me parler là-dessus avec confiance, mais surtout à ne me point avancer et à ne me point commettre. Cette conduite dura jusqu’à la séance de la Raquette, après laquelle je vis le parti pris, et qui n’étoit retardé que par la faiblesse qui s’arrête toujours au moment d’exécuter.

Alors le maréchal de Villeroy s’ouvrit entièrement à moi, comme à l’ennemi du duc de Noailles, qu’il ne pouvoit souffrir par le dépit de n’être qu’un vain nom dans les finances, dont Noailles avoit tout le pouvoir et l’administration. Le maréchal m’apprit les bottes qu’il lui portoit depuis qu’il le voyoit ébranlé, et m’instruisoit des divers avancements de sa chute. Pour l’entretenir à m’informer, je lui disois ce que je pouvois lui confier sans crainte de ses indiscrétions, et je voyois un homme ravi de joie, qui n’oublioit