Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/302

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et y apprenoit son métier de secrétaire d’État. Il a bien dépassé son maître et bien profité des leçons de son grand-père, duquel il tient beaucoup. Il exerce encore aujourd’hui cette charge avec tout l’esprit l’agrément et, la capacité possible [1]. Il est de plus ministre d’État. La louange pour lui seroit bien médiocre, si je disois, qu’il est de bien loin le meilleur que le roi ait eu dans son conseil depuis la mort de M. le duc d’Orléans. Il a eu le bonheur de trouver une femme à souhait pour l’esprit, la conduite et l’union, et d’en faire le leur l’un et l’autre. Je ne puis plus trouver que ce leur soit un malheur de n’avoir point d’enfants.

Fagon, perdant sa charge de premier médecin, l’unique qui se perde à la mort du roi, s’étoit retiré au faubourg Saint-Victor, à Paris, dans un bel appartement au Jardin du Roi ou des simples et des plantes rares et médicinales, dont l’administration lui fut laissée. Il y vécut toujours très solitaire dans l’amusement continuel des sciences et des belles-lettres, et des choses de son métier, qu’il avoit toujours beaucoup aimées. Il a été ici parlé de lui si souvent,

  1. Jean-Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas, devint ministre secrétaire d’État de la marine à vingt-quatre ans, en 1725. Il fut disgracié et exilé en 1749. Ce passage des Mémoires de Saint-Simon prouve que la rédaction de cette partie des Mémoires est antérieure à l’année 1749, puisqu’il parle de Maurepas comme ministre dans tout l’éclat de sa puissance. Maurepas fut rappelé à la mort de Louis XV (1774) et nommé premier ministre. Il ne montra pas dans cette haute position les talents qu’on lui avait prêtés et dont parle Saint-Simon. Marmontel a caractérisé dans ses Mémoires cette seconde administration de Maurepas : « Une attention vigilante à conserver son ascendant sur l’esprit du roi, et sa prédominance dans les conseils le rendaient jaloux des choix mêmes qu’il avait faits ; et cette inquiétude était la seule passion qui dans son âme eût de l’activité. Du reste, aucun ressort, aucune vigueur de courage ni pour le bien ni pour le mal ; de la faiblesse sans bonté, de la malice sans noirceur, des ressentiments sans colère : l’insouciance d’un avenir qui ne devait pas être le sien, peut-être assez sincèrement la volonté du bien public, lorsqu’il le pouvait procurer sans risque pour lui-même ; mais cette volonté aussitôt refroidie dès qu’il y voyait compromis son crédit ou son repos ; tel fut jusqu’à la fin le vieillard qu’on avait donné pour guide ou pour conseil au jeune roi. »