Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/31

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leur vie, sans toutefois s’être jamais séparés d’habitation. On a vu en son lieu quel étoit le père. Le fils, avec bien moins d’esprit et une ambition démesurée nourrie par la plus folle vanité, avoit un esprit méchant, guindé, pédant, précieux, qui vouloit primer partout, qui couroit également après les sentences qui toutefois ne couloient pas de source, et les bons mots de son père, qu’il rappeloit tristement. C’étoit le plus étrange composé de l’austère écorce de l’ancienne magistrature et du petit maître de ces temps-ci, avec tous les dégoûts de l’un et tous les ridicules de l’autre. Son ton de voix, sa démarche, son attitude, tout étoit d’un mauvais comédien forcé ; gros joueur par air, chasseur par faste, magnifique en singe de grand seigneur. Il se ruina autant qu’il le put avec un extérieur austère, un fond triste et sombre, une humeur insupportable, et pourtant aussi parfaitement débauché et aussi ouvertement qu’un jeune académiste [1].

On feroit un livre et fort divertissant du domestique entre le père et le fils. Jamais ils ne se parloient de rien ; mais les billets mouchoient à tous moments d’une chambre à l’autre, d’un caustique amer et réciproque presque toujours facétieux. Le père se levoit pour son fils, même étant seuls, ôtait gravement son chapeau, ordonnoit qu’on apportât un siège à M. du Harlay, et ne se couvroit et ne s’asseyoit que quand le siège étoit en place. C’étoit après des compliments et dans le reste un poids et une mesure de paroles. À table de même, enfin une comédie continuelle. Au fond, ils se détestoient parfaitement l’un l’autre, et tous deux avoient parfaitement raison.

Le ver rongeur du fils étoit de n’être de rien, et cette rage

  1. Ce mot était employé, aux XVIIe et XVIIIe siècles, pour désigner les jeunes gens qui suivaient des écoles, appelées académies, où l’on enseignait l’équitation. Mme de Motteville, à l’année 1645, parlant de l’entrée des ambassadeurs de Pologne à Paris, dit : « Après eux venaient nos académistes.  » Saint-Évremond a employé le mot académistes dans le sens d’académiciens, dans une pièce dirigée contre l’Académie française.