Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’osa jamais m’en parler, et l’indignation me retint autant de lui en rien dire aussi, que l’inutilité de le faire après coup. L’autre effet fut d’affermir le monde dans la folle idée de la supériorité, tout au moins de l’égalité du parlement avec le régent, qui se semoit depuis longtemps avec art, et qui de cette époque prit faveur générale, et d’enfler le parlement au point qu’on verra bientôt, rallié avec tous les ennemis du régent et d’une multitude de fous qui ne doutoient pas de figurer et de faire fortune dans les troubles.

La fête de Saint-Louis donna dix jours après le contraste plénier de celle-ci. La musique de l’Opéra a coutume, ce jour-là, de divertir gratuitement le public d’un beau concert dans le jardin des Tuileries. La présence du roi dans ce palais y attiroit encore plus de monde, dans l’espérance de le voir paroître quelquefois sur les terrasses qui sont de plain-pied aux appartements. Il parut très sensiblement cette année un redoublement de zèle, par l’affluence innombrable qui accourut non seulement dans le jardin, mais de l’autre côté, dans les cours, dans la place, et qui ne laissa pas une place vide, je ne dis pas aux fenêtres, mais sur les toits des maisons en vue des Tuileries. Le maréchal de Villeroy persuadoit à grand’peine le roi de se montrer, tantôt à la vue du jardin, tantôt à celle des cours, et dès qu’il paraissoit, c’étoient des cris de : Vive le roi ! cent fois redoublés. Le maréchal de Villeroy faisoit remarquer au roi cette multitude prodigieuse, et sentencieusement lui disoit : « Voyez, mon maître, voyez tout ce peuple, cette affluence, ce nombre de peuple immense, tout cela est à vous, vous en êtes le maître ; » et sans cesse lui répétoit cette leçon pour la lui bien inculquer. Il avoit peur apparemment qu’il n’ignorât son pouvoir. L’admirable Dauphin son père en avoit reçu de bien différentes, dont il avoit bien su profiter. Il étoit bien fortement persuadé qu’en même temps que la puissance est donnée aux rois pour commander et pour gouverner, les peuples ne sont pas aux rois, mais les rois aux peuples, pour leur rendre justice,