Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/473

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et dont la postérité n’a pas été plus espritée. Le Tellier [1] fut délié, adroit, souple, rusé, modeste, toujours entre deux eaux, toujours à son but, plein d’esprit, de force, et en même temps d’agrément, de douceur, de prévoyance ; moins savant que lumineux, pénétrant et connoisseur, [il] avoit fait et fondé la plus haute fortune. Boucherat [2] délassa de tant de talents, et s’il en avoit montré quelqu’un dans le degré de conseiller d’État, ils demeurèrent étouffés dans les replis de sa robe de chancelier. Il ne fut point ministre. »

Saint-Simon parle, dans la suite de cette note, des candidats à la charge de chancelier qui furent opposés à Boucherat, et sur lesquels il l’emporta. Le marquis d’Argenson n’est pas plus favorable que Saint-Simon à Boucherat [3] : « Lorsque je vins au monde (en 1694), il y avoit déjà quelques années que le chancelier Le Tellier, père de M. de Louvois, étoit mort. M. Boucherat étoit revêtu de cette éminente dignité, qui eût été bien au-dessus de sa capacité, si les temps eussent été plus difficiles, mais le pouvoir de Louis XIV étoit si bien établi, les parlements si soumis, le droit de remontrances avoit été si restreint, ou, pour mieux dire, si bien ôté aux cours supérieures, que l’on avoit pu hardiment accorder cette place à un vieux magistrat âgé de soixante et dix ans, et devenu presque le doyen du conseil. Aussi M. Boucherat l’occupa-t-il très pacifiquement jusqu’à l’âge de quatre-vingt-quatre ans qu’il mourut [4], ne laissant que des filles. Il eut pour successeur M. de Pontchartrain [5], qui étoit, depuis 1689, contrôleur général des finances, et, depuis 1690, secrétaire d’État de la marine et du département de Paris.

« M. de Pontchartrain prit la charge de chancelier comme une retraite. Effectivement elle pouvoit être regardée comme telle en ces temps de soumission. Il se trouva bien heureux que le roi voulût lui accorder pour successeur, dans le contrôle des finances, M. de Chamillart, et dans ses départements (de la marine et de Paris), M. de Pontchartrain, son fils. L’un et l’autre n’étoient, assurément point capables de le remplacer dignement ; mais ils le débarrassoient des soins les plus fatigants. Il fallut pourtant bien qu’il continuât à conseiller son fils, qui ne lui donnoit pas toute la satisfaction qu’il en pouvoit espérer [6] ;

  1. Michel Le Tellier fut chancelier de 1677 à 1685.
  2. Chancelier de 1685 à 1699.
  3. Mémoires du marquis d’Argenson (édit. de 1825), p. 141-142.
  4. Boucherat mourut le 2 septembre 1699.
  5. Voy., sur Pontchartrain, les Mémoires de Saint-Simon, t. II, p. 301-305.
  6. Voy., sur le fils du chancelier, les Mémoires de Saint-Simon, t. IV, p. 377 et suiv.