Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/50

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et séparées ; que je cherchois partout le bon et le vrai, et que je m’y attachois partout où je le croyois voir, comme je me roidissois aussi contre ce que j’y croyois opposé ; qu’il pouvoit bien être qu’en ce dernier cas, je parlois plus ferme et plus dur quand je trouvois l’avis du duc de Noailles à combattre, que si j’avois eu à attaquer celui d’un autre ; mais aussi [que] j’étois de son avis sans répugnance quand je le trouvois bon, et que je m’élevois pour le soutenir fortement en faveur du bon et du vrai quand je le voyois disputer, sans que, pour tout cela, je changeasse de sentiment pour sa personne.

Comme ce travail se prolongeoit, les assemblées se multiplièrent ; et une après-dînée, à la fin d’une, il fut convenu que nous nous rassemblerions le lendemain matin et encore l’après-dînée, et que, pour n’avoir pas la peine de tant aller et venir, le chancelier donneroit à dîner à tout le comité. Le lendemain matin, au sortir de la séance, le chancelier, qui, dès la veille, m’avoit prié, outre le général, en particulier à dîner, s’approcha de moi en me disant, comme encore d’un air d’invitation, qu’on alloit dîner. Je le priai de me dire précisément à quelle heure il comptoit rentrer en séance, afin que je m’y trouvasse ponctuellement. À sa surprise et son redoublement de prières de rester, je lui avouai franchement que je ne pouvois me résoudre à dîner avec le duc de Noailles ; que tant qu’il voudroit sans lui je réparerois ce que je perdois ce jour-là. Il me parut affligé au dernier point, me pressa, me conjura, me représenta le bruit que cela alloit faire. Je lui dis qu’il n’y auroit rien de nouveau, et que personne n’ignoroit à quel point nous étions ensemble. Ce colloque, qui se faisoit avec émotion sur le chemin de la porte, fut remarqué. Je vis par hasard le duc de Noailles, qui du fond de la chambre nous regardoit, et parlant aux uns et aux autres. Le duc de La Force vint en tiers, un instant après le maréchal de Villeroy, puis l’archevêque de Bordeaux, qui se joignirent au chancelier, et qui tous ensemble, comme par force, me retinrent.