Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/64

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Le duc de Noailles fit une galanterie aux dépens du roi à son ami le chancelier. Il y avoit à Versailles et à Fontainebleau une maison pour la demeure du chancelier, qu’on appeloit la Chancellerie ; mais il n’y en avoit jamais eu à Paris, où jusqu’alors les chanceliers avoient toujours logé à leurs dépens chez eux. Bourvalois, un des plus riches traitants et des plus maltraités par la chambre de justice, fut dépouillé d’une superbe maison qu’il avoit bâtie dans la place de Vendôme, et d’une maison de campagne à Champ, qu’il avoit rendue charmante, et que, d’une maison de bouteille, il avoit fait chef-lieu d’une grande et belle terre à force d’acquisitions. Mme la princesse de Conti eut Champ pour une pièce de pain qu’elle donna à La Vallière, et la maison de Paris devint la chancellerie, qui, outre le don du roi, lui coûta fort cher par tout ce que d’Antin y fit pour faire sa cour au chancelier qui jusqu’alors étoit demeuré très mal logé dans son ancienne maison de la rue Pavée, qu’il louoit auprès de celle de son père.

Le chiaoux, principalement venu pour débaucher le prince Ragotzi, y réussit. Jamais on ne vit mieux qu’en lui la petitesse des personnages à qui le hasard a fait faire grand bruit dans le monde quand ils sont rapprochés. Ragotzi étoit un homme sans talents et sans esprit que des plus communs, grand homme de bien et d’honneur, d’une pénitence également austère et sincère qui, différente de celle des camaldules chez qui il étoit retiré, n’étoit guère moins dure, qui y gardoit une solitude véritable et suivie, qui n’en sortoit que par des bienséances nécessaires, et qui, sans rien de contraint ni de déplacé, vivoit, lorsqu’il étoit parmi le monde, comme un homme qui en est, et qui toutefois se souvient bien qu’il n’y est que par emprunt. De grandes aumônes étoient jointes à sa pénitence, une grande règle dans son domestique et dans sa maison, et cependant avec toutes les décences d’un fort grand seigneur. Il est inconcevable comment un homme qui, après tant de tempêtes,