Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 15.djvu/95

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au régent que la conquête de la Sardaigne n’empêcheroit pas le roi d’Espagne de donner à l’Europe l’équilibre nécessaire à sa sûreté, lequel étoit impossible tant que l’empereur conserveroit la supériorité qu’il avoit en Italie. Albéroni n’oublioit rien pour faire peur à toutes les puissances de celle de l’empereur, qui vouloit tout envahir, et qui n’avoit ni règle, ni parole, ni justice, et qui n’entrevoit jamais sincèrement dans aucune négociation de paix, quoiqu’il en voulût amuser l’Espagne par artifice, par l’intervention de la Hollande et de l’Angleterre, et avec lequel il n’y avoit plus d’autre parti que celui de se bien préparer à faire la guerre. La Sardaigne, en effet, n’étoit qu’un essai. Albéroni prétendoit bien avoir une armée plus considérable l’année suivante, et plus de forces sur mer. Mais le temps étoit court, sa marine ne répondoit pas à ses desseins. Il voulut acheter des navires en Hollande et en Angleterre, et il en fut refusé. Néanmoins il la ménageoit beaucoup. Il lui offrit de cesser tout commerce avec le Prétendant, et de faire incessamment avec les Anglois un traité de commerce à leur satisfaction.

On le croyoit sûr de la Hollande. Riperda eut la sotte vanité de laisser croire qu’il avoit eu part au secret de l’entreprise. Les traitements qu’il recevoit du roi d’Espagne confirmoient cette opinion. On savoit encore qu’Albéroni s’étoit exactement informé en Hollande du caractère de cet ambassadeur, quoiqu’il le connût par lui-même, de son bien, de ses charges, des distinctions dont il jouissoit dans sa province ; et on en soupçonnoit que, s’il agissoit par ordre de ses maîtres, il agissoit encore plus pour son intérêt, et dans la vue de s’attacher au service du roi d’Espagne.

Le nonce n’étoit pas moins soupçonné que lui d’être vendu à Albéroni. Tout ce qui s’étoit passé de publiquement intime entre eux, depuis son arrivée à l’Escurial, jusqu’à le faire loger dans son appartement, ces circonstances faisoient croire à quelques-uns que le pape étoit d’intelligence avec