Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/132

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se remit à plaisanter, mais en évitant toujours d’articuler rien de certain.

L’objet de cette façon de répondre étoit premièrement de ne se point engager contre ce qu’il vouloit faire, puis de me donner à croire que ce qu’il me répondoit n’étoit que pour se divertir à m’impatienter, comme il lui arrivoit quelquefois ; mais je le connoissois trop pour m’y méprendre. Je sentis que le parti étoit pris, mais que l’embarras de l’exécution la différoit. Je profitai du temps, et tout de suite j’informai de cette conversation et de ce que je pressentois les maréchaux de Villeroy, Harcourt et Villars, et d’Antin, parce que ces deux derniers venoient rapporter à la régence les affaires de leurs conseils. Je n’eus pas de peine à les exciter. Nous convînmes qu’ils parleroient tous quatre séparément au régent en même sens que j’avois fait, et qu’ils finiroient par lui déclarer que, dans le moment que le grand prieur entrevoit dans le cabinet du conseil pour y prendre place, nous en sortirions tous, et lui remettrions les nôtres. Ils exécutèrent très bien et très fortement ce qui avoit été résolu, et mirent le régent dans le plus grand embarras du monde.

Je vins après eux et lui demandai de leurs nouvelles. Je vis un homme rouge bien plus qu’à son ordinaire, empêtré, et qui n’avoit plus envie de plaisanter. J’avois su du maréchal de Villeroy qu’il l’avoit bourré et imposé, des deux autres maréchaux qu’ils l’avoient extrêmement embarrassé, et de tous les quatre que la déclaration de leur retraite l’avoit mis aux abois ; qu’il avoit tâché de leur persuader qu’ils prenoient l’alarme mal à propos ; leur avoit fait tout plein de caresses, assuré qu’il n’étoit point question de cela, mais sans jamais leur dire que cela ne seroit point. Chacun lui répéta sa protestation de retraite si cela arrivoit jamais, pour le lui mieux inculquer.

Le régent me dit que ces messieurs lui avoient parlé fort vivement ; puis me donna du même verbiage dont il les avoit