Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/150

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Les jésuites, espions les uns des autres, et jaloux et envieux de ceux qui ont le secret, l’autorité et la considération qu’elle leur donne bien au-dessus des provinciaux et des autres supérieurs, sont encore merveilleusement ingrats envers ceux mêmes qui, ayant été dans les premières places ou qui ayant servi leur compagnie avec le plus grand travail et le plus de succès, lui deviennent inutiles par leur âge ou par leurs infirmités. Ils les regardent alors avec mépris et bien loin des égards pour leur âge, leurs services et leur mérite, ils les laissent dans la plus triste solitude et leur plaignent tout jusqu’à la nourriture. J’en ai vu trois exemples de mes yeux dans trois jésuites, gens d’honneur et de grande piété, qui avoient eu les emplois de talents et de confiance, et à qui j’étois lié successivement d’une grande amitié. Le premier avoit été recteur de leur maison professe (1)à Paris, provincial de la même province, distingué par d’excellents livres de piété, plusieurs années assistant du général à Rome, à la mort duquel il revint à Paris, parce que leur usage est que le nouveau général a aussi de nouveaux assistants. De retour à la maison professe à Paris à quatre-vingts ans et plus, ils le logèrent sous les tuiles au plus haut étage, dans la solitude, le mépris et le manquement. La direction avoit été la principale occupation des deux autres, dont l’un fut même proposé pour être confesseur de Mme la Dauphine, lui troisième, par les jésuites, quand le P. le Comte fut renvoyé. Celui-là fut longtemps malade, dont il mourut. Il n’étoit pas nourri, et je lui envoyai plus de cinq mois, tous les jours, à dîner, parce que j’avois vu sa pitance, et jusqu’à des remèdes, et qu’il ne put s’empêcher de m’avouer ce qu’il souffroit du traitement

1. La maison professe des jésuites était située rue Saint-Antoine ; c’est aujourd’hui le lycée Charlemagne. On distinguait les maisons professes, des collèges et des noviciats. Les premières étaient habitées par les jésuites profès. Ces religieux faisaient, outre les trois vœux ordinaires de chasteté, de pauvreté, d’obéissance, un vœu particulier d’obéir au pape en tout ce qui regarde le bien des âmes et la propagation de la foi chrétienne.