Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/151

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qu’on lui faisoit. Le dernier, fort vieux et fort infirme, n’eut pas un meilleur sort. À la fin, n’y pouvant plus résister, et me le laissant entendre, il me demanda retraite dans ma maison de Versailles, sous prétexte chez eux d’aller prendre l’air. Il y demeura plusieurs mois, et mourut au noviciat, à Paris, quinze jours après qu’il y fut revenu. Tel est le sort de tous les jésuites sans exception des plus fameux, si on en excepte quelques-uns qui, ayant brillé à la cour et dans le monde par leurs sermons et leur mérite, et s’y étant fait beaucoup d’amis, comme les PP. Bourdaloue, La Rue, Gaillard, ont été garantis de la disgrâce générale, parce que, étant visités souvent par des personnes principales de la cour et de la ville, la politique ne permettoit pas de les traiter à l’ordinaire, de peur de faire crier tant de gens considérables qui s’en seroient bientôt aperçus, et qui ne l’auroient pas souffert sans bruit et sans scandale. C’est donc cet abandon, ce mépris et ce reproche tacite de tout soulagement qu’éprouva le P. Tellier à la Flèche quoiqu’il eût quatre mille livres de pension. Il avoit maltraité jusqu’aux jésuites. Aucun d’eux n’approchoit de lui qu’en tremblant du temps qu’il étoit confesseur ; encore n’y avoit-il que quelques gros bonnets et en très petit nombre. Les premiers supérieurs, qu’il gouvernoit à baguette, éprouvoient ses duretés, et tous sa domination, sans la moindre ouverture. Le général même fut réduit à ployer devant lui ce despotisme absolu qu’il exerce sur toute la compagnie et sur tous les jésuites en particulier. Tous, et ils me l’ont dit dans ces temps-là bien des fois, désapprouvoient la violence de sa conduite et en étoient fort alarmés pour la société ; tous le haïssaient comme on déteste un maître grossier, dur, inaccessible, plein de soi-même, qui se plaît à faire sentir son pouvoir et son mépris. Son exil et la conduite qui le lui attira leur fut un nouveau motif de dépit par le dévoilement des intrigues secrètes où ils avoient grande part et qu’ils