Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/160

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cadence des visites de Le Blanc. Je ne fus pas longtemps à démêler que je n’en saurois jamais davantage, comme il arriva en effet, excepté ce qu’il fallut tout à la fin en dire au conseil de régence pour excuser les emprisonnements et les exécutions de Bretagne. M. le duc d’Orléans n’en savoit pas plus que moi, ou si on lui en disoit quelque chose de plus, ce fut sous un secret recommandé plus pour moi que pour personne. L’abbé Dubois, maître absolu de M. le duc d’Orléans, faisoit trembler, excepté moi, tout ce qui approchoit ce prince. L’abbé craignoit le nerf de mes conversations et de n’être pas le maître de son aiguière, s’il venoit jusqu’à moi des découvertes dont je pusse battre le régent, et venir à bout de son incurie et de sa débonnaireté. On a vu, lors de l’arrêt de l’abbé Portocarrero, l’adresse et la hardiesse dont Dubois se saisit de tous les papiers. Il n’eut pas de soin de s’emparer de ceux de Cellamare, que Le Blanc, qui l’y accompagnoit, n’étoit pas pour lui disputer. Il s’étoit donc ainsi rendu seul maître du secret et du fond de l’affaire, et tellement que M. le duc d’Orléans ni personne n’en pouvoient savoir que ce qu’il vouloit bien leur dire. Le garde des sceaux, qui alloit rarement interroger les prisonniers, et Le Blanc, qui les voyoit bien plus souvent et à qui venoient tous les avis sur cette affaire, étoient dans l’entière frayeur et la plus soumise dépendance de l’abbé Dubois, avec lequel ils concertoient chaque jour ce qu’ils devoient dire à M. le duc d’Orléans sur les avis et sur ce qu’ils avoient tiré ou n’avoient pu tirer des prisonniers, et rendoient compte„ au sortir d’avec lui, au redoutable abbé de tout ce qui s’étoit passé entre eux et le régent.

Dubois vouloit faire la peur entière au duc et à la duchesse du Maine et aux prisonniers pour tirer tout d’eux, et y mettre si bon ordre qu’il n’y eût plus rien à craindre ; il vouloit aussi épouvanter les maréchaux pour les humilier et les contenir. Mais il étoit bien éloigné d’aller plus loin. Il vouloit régner sans trouble et parvenir à la pourpre et à