Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/174

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son maître de se faire l’effort de le lui commander de façon à se faire obéir (1).

C’étoit bombarder rudement la faiblesse du régent, et tâcher à l’exciter à force de boulets rouges. Je lui laissai prendre haleine et voulus voir quel effet la batterie auroit produit. Il m’avoit laissé tout dire sans aucune interruption, et je lui voyois l’âme fort en peine. Nous fûmes quelques moments en silence. Il le rompit le premier pour me répondre que ce que je lui avois représenté étoit bel et bon sur M. et Mme du Maine, mais que je ne prenois pas garde à ce qui étoit avec eux de personnages engagés peut-être dans la même affaire et sous les mêmes preuves, et à faire un si grand coup de filet, que le filet en pourroit rompre.

Ma réplique fut prompte. Je l’assurai qu’il ne devoit pas avoir assez mauvaise opinion de mon jugement de n’avoir pas pensé à une partie si principale de cette affaire, dont j’avois bien compté de l’entretenir, après avoir achevé sur M. et Mme du Maine ; que pour venir à cette autre partie, je le suppliois de se représenter toutes les conspirations qu’il avoit lues, dont il n’y avoit aucune qui n’eût son chef, et des complices principaux et distingués par la force qu’ils y pouvoient ajouter, outre le nombre des autres, dont les personnes étoient de peu ou rien ; qu’en cela on dépendoit des preuves ; qu’il n’étoit pas permis de retrancher ni de grossir ; que plus le nombre des complices considérables seroit grand, plus le crime du chef le seroit, et le danger de l’État aussi, plus la punition très sévère deviendroit indispensable ; plus la clémence et la justice devroient marcher de front ; plus le crime des personnages que le chef de la conspiration auroit débauchés de leur devoir devoit à plomb

1. Les représentations de Saint-Simon au régent n’étaient pas ignorées. Madame, mère du régent, écrivait le 7 juillet 1719 : «Le duc de Saint-Simon s’impatienta une fois de la bonté de mon fils et lui dit en colère : Ah ! vous voilà bien débonnaire ; depuis Louis le Débonnaire on n’a rien vu d’aussi débonnaire que vous. Mon fils faillit se rendre malade à force de rire.