Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/259

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jamais rien en comparaison de l’État. Je le priai ensuite que je pusse emporter le mémoire pour le mieux considérer tout à mon aise. Il y consentit à condition qu’il ne seroit vu que de moi seul. Il me le donna, mais avec promesse de le lui rapporter le surlendemain, sans m’avoir jamais voulu accorder un plus long terme.

Je tins parole et plus, car je fis de ma main une réponse si péremptoire que je lus à M. le duc d’Orléans, qu’il demeura convaincu que le projet étoit la chimère du monde la plus dangereuse. Cette réponse, je l’ai encore ; elle se trouvera parmi les Pièces. En effet, il ne fut plus parlé du projet. Ceux qui l’avoient fait et conseillé trouvèrent M. le duc d’Orléans si armé contre leurs raisons, qu’ils n’y trouvèrent point de réplique, et qu’ils se continrent dans le silence ; mais ce ne fut pas pour toujours.

Outre les raisons contre ce remboursement, expliquées dans le mémoire qui persuada alors M. le duc d’Orléans, trop long pour être inséré ici, mais qu’il faut voir dans les Pièces, j’en eus deux autres non moins puissantes, non moins inhérentes à l’intérêt de l’État, mais qui n’étoient pas de nature à mettre dans mon mémoire : la première est que, quelque fausses et absurdes que soient les maximes du parlement qui viennent d’être expliquées, et quelque abus énorme et séditieux qu’il en ait fait trop souvent, surtout dans la minorité du feu roi, il ne falloit pas oublier le service si essentiel qu’il rendit dans le temps de la Ligue, ni se priver d’un pareil secours dans les temps qui pouvoient revenir, puisqu’on les avoit déjà éprouvés, en même temps ne pas ôter toute entrave aux excès de la puissance royale tyranniquement exercée quelquefois sous des rois faibles, par des ministres, des favoris, des maîtresses, des valets même, pour leurs intérêts particuliers contre celui de l’État, de tous les particuliers, de ceux d’un roi même qui les autoriseroit à tout faire et à employer son nom sacré et son autorité entière à la ruine de son État, de ses sujets et